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les mots sont importants
Les beaux restes de l’identité nationalel
Article mis en ligne le 2 mai 2020
dernière modification le 1er mai 2020

Pour fêter, le mieux possible, en attendant des jours meilleurs, les 20 ans du site « Les mots sont importants », nous avons choisi d’accompagner la sortie de l’anthologie Mots et maux d’une décennie, paru mi mars aux éditions Cambourakis, d’une anthologie virtuelle, en ligne, à raison d’un texte chaque jour, un par année. En 2009, nous publions un texte consacré au livre de Philippe Adam, publié juste après l’élection, en 2007, de Nicolas Sarkozy qui s’empresse de constituer un ministère de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale : sombre, burlesque et méticuleuse entreprise de démoralisation nationale, France audioguide (paru chez Inventaire /Invention en 2007) est le premier acte de résistance littéraire de l’ère Sarkozy.

l y a plusieurs manières de s’opposer littérairement à Nicolas Sarkozy. La première est ce qu’on appelle le pamphlet, la déclaration de haine – car assurément cet homme, la politique qu’il mène, les intérêts qu’il défend, les valeurs et l’imaginaire qu’il véhicule, les mots qui sortent de sa bouche, ses intonations, sa voix, sa gestuelle, ses regards, ses sourires – ses rictus – et sa démarche, bref tout ce qu’il représente, cette arrogance, ce culte de l’argent et des puissants, cette exaltation du sentiment national, ce dégoûtant amour de la France, ces minables rêves de grandeur, ces rappels à l’ordre, au travail, à la famille et à la patrie, ce mépris pour tout ce qui n’est pas blanc, masculin, marié, chef de famille et d’entreprise, toute cette politique, cette éthique et cette esthétique microfasciste [1] qu’il met en œuvre et en scène dans la moindre de ses paroles, la moindre de ses mimiques, le moindre de ses haussements d’épaule, le moindre de ses râclements de gorge, ne mérite rien d’autre qu’une profonde, légitime, indiscutable haine. Une haine sacrée, qui devrait être sublimée, esthétisée, chantée interminablement par les plus grands poètes tant que la bête immonde n’est pas terrassée.

Mais on peut aussi se détourner de cette haine juste et nécessaire, ignorer la personne de Nicolas Sarkozy et combattre par le réalisme. Le principe est simple : Nicolas Sarkozy assoit son pouvoir sur le mensonge et l’occultation du réel, par conséquent le simple fait de montrer le réel constitue un acte de résistance. Le simple fait de raconter la vraie vie des ouvriers, des immigrés, des femmes, des musulmans, de leurs voisins blancs, des chômeurs, des précaires, des mal-logés, des cheminots, des grévistes, des filles voilées exclues de l’école, des émeutiers, des détenus ou de tous ceux qu’on nomme les délinquants, le seul fait de raconter l’abjection que furent la conquête et l’empire colonial, le seul fait de raconter dans un récit, un roman, une chronique, un carnet de voyage, ce qu’est vraiment aujourd’hui la vie d’un paysan malien, d’une paysanne malienne, d’un citadin Sénégalais, d’une Togolaise, d’une Camerounaise, dans leurs pays ou en France, le simple fait de montrer ce qu’est vraiment la vie d’un Irakien ou celle d’une Palestinienne, constitue un acte de résistance contre la mythologie libérale et coloniale sarkoziste [2].

France audioguide emprunte un autre chemin. Nulle mention de Nicolas Sarkozy, nulle description du chômage, de la précarité, de la violence policière ou des expulsions de sans-papiers – d’autres livres s’en chargent, et ils ne sont pas inutiles. Ici, il ne s’agit pas d’attaquer Nicolas Sarkozy sur ce qu’il dit ou fait, ni de dire ce qu’il ne dit pas, ni de montrer ce qu’il s’évertue à cacher. Il s’agit de s’emparer des objets sarkoziens – et plus précisément du plus sarkozien des objets [3] : cette abstraction à la fois vide et trop pleine qu’est la France, avec ses déclinaisons : la terre, le terroir, le patrimoine, la légende dorée, les Grands Hommes – et de produire, avec ces objets, une autre rhétorique et d’autres affects : autre chose que la fameuse fierté d’être français. Comme certains philosophes, sociologues, historiens ou activistes luttent pour démythifier, décoloniser, désétatiser et dénationaliser non seulement l’histoire de France mais aussi les politiques publiques et les rapports sociaux actuels, Philippe Adam est de ceux qui, en usant des moyens spécifiques de la littérature, travaille à démythifier et dénationaliser notre vie imaginaire et affective, et notamment notre rapport le plus intime, et en apparence – trompeuse – le moins médiatisé par le politique, au pays et au paysage, à la patrie et au patrimoine. (...)