
Editorial. Sans débat, le gouvernement a décidé de réintroduire les insecticides « tueurs d’abeilles » dans la production de betteraves, interdits depuis 2018. Au risque de ruiner la crédibilité de ses professions de foi vertes.
Pour un nouveau gouvernement qui se fait fort de négocier la « transition agroécologique », permettre de nouveau aux producteurs de betteraves d’utiliser des semences enrobées de néonicotinoïdes est une curieuse entrée en matière. La loi sur la biodiversité de 2016 avait interdit ces insecticides dits « tueurs d’abeilles » à compter du 1er septembre 2018. L’annonce faite le 6 août par le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, Julien Denormandie, satisfait les producteurs, dont les rendements et les revenus sont menacés par le développement massif de la jaunisse de la betterave, une maladie virale transmise par un puceron dont les « néonics » permettent de se préserver. Elle suscite la colère des défenseurs de l’environnement, qui estiment, sur la foi de travaux scientifiques, que ce produit nocif demeure dans les sols et contamine les cultures ultérieures et la flore sauvage adjacente. Le gouvernement fait valoir que les betteraves, dépourvues de fleur, n’attirent pas les pollinisateurs, que la dérogation accordée est temporaire et que toute plantation de cultures attractives pour les abeilles sera ensuite restreinte sur les mêmes sols. (...)
Le dilemme est emblématique des relations entre décision politique et exigence environnementale : d’un côté, une filière symbole de l’agriculture productiviste qui fait vivre 45 000 emplois, affiche sa fierté de la position française de deuxième producteur mondial de sucre de betterave, souligne l’absence d’alternative aux néonicotinoïdes pour lutter contre le puceron et se dit inquiète de la concurrence de pays européens où ces pesticides sont de nouveau tolérés ; de l’autre, des acteurs et des observateurs du monde agricole qui dénoncent une soumission au lobby sucrier et aux pressions de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), s’alarment d’un risque de contamination durable de l’environnement et militent pour une mutation accélérée de l’agriculture intensive française vers un modèle durable, respectueux de la nature et de la santé.
Faire œuvre de pédagogie
En parallèle, la nouvelle période de sécheresse que vit la France a relancé le débat sur la gestion de la ressource en eau. (...)
Ces arbitrages du ministre de l’agriculture obligent sa collègue chargée de la transition écologique, Barbara Pompili, à manger son chapeau en justifiant des orientations qu’elle a longtemps combattues. Mais l’essentiel est ailleurs : de tels choix, traditionnels dans une France où les agriculteurs ont toujours pesé électoralement, ne peuvent plus être ainsi assénés sans le moindre débat. D’abord parce que le monde agricole lui-même est loin d’être unanime. Mais aussi parce que, à l’heure où se multiplient les signes tangibles du changement climatique, qui inquiètent l’opinion, le rôle du gouvernement devrait consister à accompagner le plus rapidement possible les mutations indispensables, pas à perpétuer les schémas anciens. (...)