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Les Gilets jaunes sont le premier mouvement social écologiste de masse
Les Gilets jaunes. Documents et textes, de Patrick Farbiaz, éditions du Croquant, janvier 2019, 180 p., 12 €.
Article mis en ligne le 21 janvier 2019

Quand les Gilets jaunes ont émergé, j’ai réagi spontanément comme beaucoup de militants écologistes. Vus des métropoles, ces gens « de nulle part », se réclamant de la civilisation de la bagnole, soutenus par Le Pen, ne pouvaient qu’être racistes, sexistes et homophobes. Celles et ceux qui se rassemblaient sur les ronds-points, les péages et les parkings des centres commerciaux, dans la tradition des jacqueries antifiscales, n’avaient rien à voir avec le changement social tel que je l’avais appris à travers la grammaire de l’émancipation utilisée au XXe siècle. Ces « petits blancs » ressemblaient tellement à ce peuple de Trump qu’ils m’étaient étrangers à tous les sens du terme.

Pourtant, en discutant avec de jeunes militants écologistes, je compris que je faisais fausse route, ressemblant à ces bourgeois, en particulier ces écrivains de droite ou de gauche qui avaient stigmatisé les communards comme un peuple d’alcooliques désœuvrés…

(...) Et ce que je voyais avec les Gilets jaunes, c’était sur chaque rond-point, sur chaque parking de supermarché, sur chaque péage… la colère des « gens qui ne sont rien », des invisibles, une révolte qui s’exprimait enfin de façon brute mais efficace. Ils disaient : « Assez ! » après avoir été poussés au bord du gouffre pendant des années par un système vorace, fondé sur les profits et construit sur leur dos, et avoir été ignorés ou traités comme des déchets par les patrons, les banquiers, les politiciens et les bureaucrates du gouvernement, quel que soit le parti de la classe dirigeante au pouvoir.(...)

Ce peuple se soulevait en se réclamant d’une souveraineté populaire dont il était privé. Ce mouvement rendait visible et audible la France des perdants de la mondialisation, celle des travailleurs pauvres, des fonctionnaires de catégories B et C, des infirmières, des aides-soignantes, des retraité(e)s, des mères de famille monoparentales, des petits patrons endettés, des autoentrepreneurs, VTC (voitures de tourisme avec chauffeur) ubérisés des intérimaires et des chômeurs…

Mais en contestant toute médiation, en prenant la parole, du no man’s land des ronds-points aux plateaux de télévision, en s’organisant et en se politisant sans le recours aux organisations traditionnelles, ces nouveaux sans-culottes refusaient le rôle de victimes qui leur était assigné. Ingouvernables, ils devenaient des acteurs politiques incontournables de leur propre destin et par là même du nôtre.

Cet événement improbable, il fallait au-delà des interprétations, et quoi qu’il devienne politiquement après décembre 2018, en raconter la genèse. C‘est pourquoi j’ai écrit un livre reprenant les documents et textes glanés au cours du premier mois du soulèvement (...)

Ce mouvement dans son fonctionnement même est social écologiste
Les Gilets jaunes enracinés dans des territoires déshérités, refusent ce mode de vie contraint en insistant sur la relocalisation de l’économie et des activités, sur les circuits courts, sur la proximité, ils remettent en cause la logique de métropolisation, de gentrification. Ils veulent comme les régionalistes et les écologistes des années 1970 « vivre et travailler au pays ». Les Gilets jaunes sont un mouvement de survie écologique contre la tendance générale du capitalisme, l’expulsion : expulsion des paysans par les accapareurs de terre, expulsion des ouvriers par les délocalisations, expulsion des locataires de leur logement ou des petits propriétaires chassés de leurs maisons parce qu’incapables de rembourser leurs traites, expulsion des habitants des villes petites et moyennes, faute de services publics, de petits commerces, expulsion de la terre des ressources naturelles et des matières premières par les multinationales…

Mais ce mouvement dans son fonctionnement même est social écologiste. L’émergence d’un sujet autonome qui se défie de toutes les instances intermédiaires (partis, syndicats, associations), et fixe son propre agenda à partir de ses besoins est à la fois dans son essence communaliste en agissant localement et en pensant globalement. L’autonomie du mouvement par l’utilisation massive des outils numériques pour son autoorganisation, l’absence de porte-paroles élus et identifiés, la dynamique imprévisible de l’action s’apparente au municipalisme libertaire et à l’écologie sociale théorisée par Murray Bookchin. Il rappelle l’organisation des Zad et s’assortit au convivialisme par la fraternité et la sororité des ronds-points. Cette dynamique de l’entraide, de la coopération, cette joie de se reconnaître comme « nous », où le rôle des femmes est essentiel, cette leçon-là ne sera pas perdue pour l’avenir, quel qu’il soit.

Pour l’écologie politique, les Gilets jaunes sont une chance. (...)

Une autre écologie, populaire, est possible. Elle nous donne rendez-vous à Commercy, à côté de Bure, où les Gilets jaunes de cette petite ville de la Meuse ont convoqué les 26 et 27 janvier l’Assemblée des assemblées.