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Contretemps
« Les Algériens des années 50 ont été traités comme les ouvriers de 1891 »
Article mis en ligne le 21 octobre 2011
dernière modification le 18 octobre 2011

A l’occasion de la commémoration du massacre du 17 octobre 1961, Contretemps publie un entretien avec l’historien Emmanuel Blanchard, auteur de La police parisienne et les Algériens (1944-1962), éditions Nouveau Monde, 2011.

la spécificité de la prise en charge des Algériens par la police ne commence pas avec la guerre. Ce qui le montre très clairement c’est qu’il y a une violence policière létale adressée aux Algériens avant le 1er novembre 1954. Le 14 juillet 1953, six manifestants algériens sont abattus au cours de la dispersion d’une manifestation, place de la Nation, alors qu’en région parisienne, les armes à feu n’avaient plus été utilisées contre des manifestants depuis 1937.

J’ai donc choisi de me placer dans la moyenne durée pour voir si le 17 octobre relevait de l’exception ou d’une radicalisation de répertoires policiers préexistants. Je me suis ainsi affronté à la question de la situation coloniale (...)

Pour mener à bien ce programme, il fallait donc remonter en amont de la guerre d’indépendance algérienne. Depuis la Libération, les Algériens ont un statut très particulier, les « Français musulmans d’Algérie » restent des colonisés aux droits politiques minorés dans les départements Algérie mais disposent de la pleine citoyenneté en métropole, avec en théorie une véritable égalité des droits avec les autres Français, ainsi que la liberté de circulation entre les deux rives de la Méditerranée. Dans la pratique, on peut parler de « citoyens diminués », selon un terme utilisé dès les années 1920 par les élus communistes pour désigner le sort réservé aux naturalisés de fraîche date, et repris dans l’après-guerre pour rendre compte de la situation des Algériens. Ces deniers sont pris en charge par les autorités et par la police selon des modalités proches de celles qui pèsent alors sur des populations considérées comme marginales et déviantes : prostituées, vagabonds, homosexuels, nomades... Il y a donc une gradation implicite dans la citoyenneté et les représentations dépréciatives de certains groupes sociaux donnent à la police des pouvoirs augmentés sur ces populations stigmatisées.
(...)

La précarité (notamment résidentielle) et la pauvreté d’une grande partie d’entre eux ne suscitent pas de volonté de règlement politique ou social : les Algériens ont certes le droit d’être là, mais leur présence n’est pas désirée et les pouvoirs publics ne veulent pas dépenser d’argent pour leur permettre d’atteindre des conditions de vie plus acceptables. La liberté de circulation et la citoyenneté n’étaient en effet que des contreparties nécessaires mais redoutées au maintien d’une domination coloniale qui seule avait inspiré la politique française à la Libération. (...)

Dans ce contexte d’injonctions paradoxales (les Algériens sont Français, ont le droit d’être en métropole mais il faut faire en sorte qu’ils ne soient pas visibles), le mandat donné à la police parisienne est alors de les faire circuler voire de les expulser. Comme pour les vagabonds, on ramasse, on contrôle et on essaye de les renvoyer en Algérie sous couvert d’indigence. Avant la guerre d’Algérie, la préfecture se retrouve face à une impasse : expulser de telles populations est à la limite de la légalité (il ne peut s’agir que de « rapatriements volontaires ») et coûte cher. La guerre d’Algérie permet de dépasser ces problèmes juridiques et matériels.
(...)

La situation coloniale est une des formes de racialisation des rapports sociaux et de domination politique qui peuvent emprunter à bien d’autres registres. Autrement dit, le présent du passé colonial est aujourd’hui inscrit dans des politiques policières qui ne sont pas celles des années 1950-1960 même si l’actualisation de certains répertoires d’action passés fournit des clés d’intelligibilité pour décrypter des dispositifs plus que jamais tournés vers la gestion des « citoyens diminués » et autres « étrangers indésirables ».

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