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Le prix du pétrole est bas ? C’est pourtant sa fin. Qui annonce la fin de la croissance
Article mis en ligne le 28 décembre 2015
dernière modification le 23 décembre 2015

Et si nous atteignions les limites de la croissance économique ? C’est l’hypothèse défendue ici : les cours très bas du pétrole rendent impossible les investissements nécessaires pour puiser dans les réserves encore disponibles. Le moteur de la croissance, l’énergie fossile, va donc bientôt caler. Entraînant la chute de l’économie.

De lourds nuages s’amoncellent (encore) au-dessus de l’économie mondiale. Tandis que la Banque des règlements internationaux s’inquiète de l’avenir d’un monde « dans lequel les niveaux d’endettement sont trop élevés, la croissance de la productivité, trop faible, et les risques financiers, trop menaçants », la banque britannique HSBC constate tout simplement : « Nous sommes déjà en récession. »
Nouveaux médecins de Molière, les économistes paraissent plus démunis que jamais. Même le patron de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, « porte un chapeau trop grand » pour lui, estime le quotidien économique les Échos, « un chapeau qui lui couvre les yeux, mais qui ne l’empêche pas de foncer ». La confiance règne. (...)

On a souvent considéré qu’une limite à la croissance devrait se manifester par une hausse sans fin des cours du pétrole et des autres grandes matières premières. Au contraire, les limites de la croissance pourraient être révélées par un prix des matières premières trop bas, c’est-à-dire par une demande globale trop faible pour que reste rentable l’extraction sans cesse plus coûteuse des flux de matières requis par la croissance. Un prix trop bas, autrement dit, pour financer la nécessaire quête de nouvelles sources intactes de pétrole à très grande profondeur au large du Brésil ou sous le pôle Nord, ou bien encore pour financer le déploiement massif des énergies renouvelables. (...)

Si l’effondrement des cours du brut est un symptôme décisif de l’état réel de l’économie, il n’est pas pour autant isolé. Car outre le pétrole, ce sont les cours de toutes les grandes matières premières industrielles qui ont chuté, signe évident du ralentissement de l’activité industrielle chinoise et mondiale, et non du début d’une nouvelle ère d’abondance. (...)

La grave crise dans laquelle l’effondrement des prix du brut plonge l’industrie pétrolière mondiale promet (pas simplement à mes yeux, voir également ici ou encore là) d’avoir de graves conséquences sur le futur de l’économie de croissance toute entière. Les investissements dans les pétroles non-conventionnels et extrêmes (sables bitumineux canadiens, pétroles de schiste aux États-Unis, puits offshore ultra-profonds au Brésil, forages en Arctique), censés suppléer le pétrole conventionnel, sont à peu près à l’arrêt aujourd’hui. Après s’être relevée de ses cendres grâce à la fracturation hydraulique et aux pétroles de schiste, la production américaine d’or noir connaît de nouveau le déclin depuis le mois d’avril. Et si les cours ne remontent pas, le déficit d’investissements finira aussi par avoir un lourd impact sur les grands producteurs de pétrole conventionnel, dont beaucoup – Venezuela, Mexique, Algérie, Norvège, Indonésie, Gabon, etc. – se trouvaient déjà dans l’incapacité de maintenir leurs extractions lorsque le prix du baril planait à plus de cent dollars.
Sous forme de pétrodollars, l’or noir a remplacé le métal jaune

Malgré elle, l’industrie du pétrole (la première du monde) se trouve depuis dix ans engagée dans une course périlleuse sur un tapis roulant très vite en sens inverse. Ce tapis roulant, c’est le déclin dit « naturel » de nombre de régions pétrolifères plus ou moins anciennes. Afin, ne serait-ce que de maintenir la production mondiale de brut, les pétroliers doivent mettre en production l’équivalent de quatre nouvelles Arabie saoudite, soit rien de moins que la moitié de cette production mondiale… tous les dix ans ! Tôt ou tard, cela deviendra impossible, faute de réserves suffisantes techniquement exploitables de façon rentable.

Tel est le fond de la question du « pic pétrolier ». (...)

le gonflement perpétuel de la dette que les tours de passe-passe monétaires encouragent risque d’atteindre un jour ou l’autre le point de rupture. Si cela se produit, la croissance mondiale ralentira fortement, les cours des matières premières chuteront encore davantage, la valeur des capitaux industriels s’effondrera en même temps que leurs productions. En particulier, il risque fort de devenir impossible d’empêcher le « déclin naturel » de la source d’énergie la plus nécessaire à nos sociétés thermo-industrielles.

Et si je me trompe, il me reste encore une chose à écrire : ceux qui croient l’écologie capable de transformer la politique doivent se pencher sur le lien consubstantiel qui unit production d’énergie et croissance de l’économie. Ne serait-ce que parce qu’une déflation par la dette, et tôt ou tard le déclin de la production de pétrole, rendraient très incertain le déploiement massif des produits industriels sophistiqués globaux qui constituent l’appareillage de transformation des sources renouvelables d’énergie. Il est douteux que quelque chose comme une « croissance verte » survive à la sortie de gré ou de force des énergies fossiles.

du même auteur :« Tout va s’effondrer. Alors... préparons la suite »