
Comment réagir quand votre adversaire politique commence à récupérer vos positions ? Se féliciter que la voix de la raison l’emporte ? J’entends depuis quelques mois Marine Le Pen nous parler d’écologie et mon cerveau implose. A priori, il est difficile d’être plus éloigné de mes idées que le Rassemblement national (RN). Et voilà que sa présidente nous parle circuit court, approvisionnement local, dénonce les fermes-usines et les OGM.
On peut crier au greenwashing, remarquer que les députés RN ont systématiquement voté contre les lois écologiques, que Marine Le Pen n’y connaît strictement rien et qu’il ne s’agit que d’opportunisme politique. Il n’en demeure pas moins que, dans le fond, il y a une certaine logique comme le décrypte très bien cet article. Le rapport entre la terre et l’extrême droite n’est pas nouveau, il est même étonnant que feu le Front national ne l’ait pas davantage exploité. Maurice Barrès au début du XXe siècle avait déjà longuement écrit sur l’importance de la terre (« il faut raciner les individus dans la terre »), et Pétain déclarait en 1940 « la terre, elle, ne ment pas ». (Ce qui, je viens de m’en rendre compte, n’est pas très éloigné de la fin d’Autant en emporte le vent : « Scarlett, la terre c’est la seule chose qui compte. » Scarlett O’Hara retournant cultiver Tara était-elle déjà une néo-rurale ?) Le FN proclame depuis longtemps la priorité nationale, c’est-à-dire la priorité aux produits français. Ce qui, concernant l’agriculture, s’applique parfaitement au retour au local contre le libéralisme mondialisé. D’où son slogan actuel « priorité au local avant le global ». Il a suffi de remplacer national par local et hop, le tour était joué.
Il faut aussi avouer que cette rhétorique est grandement facilitée par l’affrontement binaire RN versus LREM (La République en marche). Marine Le Pen n’a aucun mal à démontrer que la politique actuelle de LREM est contradictoire avec les intérêts écologiques. (...)
Pour le RN, la France doit préserver son patrimoine naturel, comme doit aussi l’être son patrimoine culturel. La République en marche chercherait donc à « liquider notre patrimoine naturel ». (Suivant cette logique, le libéralisme et l’immigration deviennent une même chose ; le travailleur se doit d’être local, comme le produit.)
Or cette idée de patrimoine naturel prouve bien l’inadéquation de la pensée du RN avec la situation écologique actuelle. En fait, c’est même une absurdité totale. Le patrimoine implique l’idée de transmission d’une propriété. Ce qui voudrait dire que cette nature est un bien extérieur qui nous appartiendrait, au même titre que les châteaux et les églises. C’est une vision à l’ancienne. Il y aurait d’un côté l’être humain, de l’autre la nature. Et si pendant longtemps l’être humain a exploité la nature, vouloir désormais la préserver c’est encore ne pas comprendre les enjeux du moment. Des enjeux parfaitement résumés par un titre de Médiapart :
Nous sommes une espèce animale, nous faisons partie d’un ensemble qu’on peut appeler, si vous voulez, nature. Nous ne la possédons pas, il ne s’agit pas de la protéger comme on rénoverait un château. Nous ne sommes pas extérieur à l’environnement, nous en sommes une des composantes qui devrait cesser de se croire supérieure aux autres. Parce que c’est cette conviction qui nous a amené·es à détruire l’écosystème, ce qui, précisément, fait douter de notre réelle supériorité intellectuelle. Le ver de terre contribue à améliorer l’environnement –et il n’a pas de cerveau. On peut se demander si les résultats de nos actions prouvent que nous sommes aussi malin·es. (...)
le problème de fond, ce n’est pas la présence de l’être humain en soi mais son mode de vie. (...)
Le patrimoine naturel revient à décider ce qui est de l’ordre de la nature et ce qui ne l’est pas. On crée une zone puis on décrète : « Ça, ça va être naturel », comme on administrerait un musée vivant, en continuant à bousiller tout le reste parce que nous ne parvenons pas à penser l’être humain au sein de la nature, mais à côté. Ne nous y trompons pas, le « patrimoine naturel » du Rassemblement national n’est pas soluble dans la pensée écologique moderne.