
La « police sanitaire » n’est pas qu’un slogan brandi dans les manifestations pour dénoncer les restrictions de liberté liées à la pandémie. Elle existe formellement dans notre droit. C’est une branche de la police administrative. Contrairement à la police judiciaire dont le rôle est de sanctionner les comportements portant atteinte à l’ordre public, les mesures de police administrative ont pour but de les prévenir en restreignant par avance les libertés. Ainsi, instaurer un couvre-feu, obliger chacun à présenter un passe vaccinal à l’entrée des lieux publics, interdire l’organisation de concerts sont des mesures de police sanitaire. Dans son rapport de septembre 2021, le Conseil d’État, dressant le bilan des états d’urgence en France, en rappelle le danger.
Dans une commune, le pouvoir de police administrative est exercé par le maire (et, à l’échelle du département, par le préfet). Il est donc chargé de la police sanitaire. (...)
Mars 2021, séance du conseil municipal. Excédé par la dernière manifestation « ne respectant pas le port du masque », le maire, « en tant que garant de la protection sanitaire de la population » a déclaré : « Si de tels rassemblements perdurent et que des participants sont identifiés, je m’opposerai à leur participation à des commissions communales ou municipales et je proposerai la suppression des subventions aux associations qui toléreraient de telles personnes dans leurs rangs. » La mesure était extravagante, totalement illégale. Un maire n’a pas le pouvoir d’exiger une purge des associations. Pourtant, l’idée a fait son chemin : quelques mois plus tard, une présidente d’association a demandé à ses salariés de ne pas se rendre à une manifestation contre le passe sanitaire organisée dans le bourg. Une injonction contraire au Code du travail (article L.1121-1) : les salariés n’ont pas à rendre compte à leurs employeurs de leurs activités personnelles. (...)
En avril 2021, toujours pour motifs sanitaires, le maire a pris un arrêté interdisant la distribution de tracts sur le marché. L’idée, expliquait-il, était d’« en finir avec quelques individus qui sont contre tout et qui créent des attroupements en distribuant des tracts ». La semaine suivante, sur le marché du dimanche, des habitants du coin se sont contentés de distribuer l’arrêté municipal. L’un d’eux a été verbalisé. Il a contesté l’amende et s’est retrouvé au tribunal pour avoir tracté l’arrêté interdisant la distribution de tracts...
Le jugement lui a donné raison (...)
Non seulement l’arrêté était illégal, mais le maire lui-même a été vu distribuant des tracts pendant la campagne pour les élections départementales au printemps dernier. (...)
Dans ce bourg de campagne, ce détournement de police sanitaire en police politique tient du grand guignol ; le maire se ridiculise en cherchant à limiter la contagion du village par les idées subversives. Mais qui a les moyens d’aller porter chacune de ces décisions arbitraires devant les tribunaux administratifs ?
Des milliers de personnes chassées de l’espace public
Depuis le début de la pandémie et de l’état d’urgence sanitaire, les libertés les plus emblématiques de la démocratie ont été maintenues : droit de manifester, liberté d’association, liberté d’expression. Sur le plan formel, elles n’ont pas été remises en cause. Mais comme l’illustre la petite histoire locale que nous avons relatée, la centralité politique de la police sanitaire les a profondément fragilisées. Le droit de manifester ou de se réunir est devenue une sorte de faveur qui peut être retirée à tout moment. L’obligation vaccinale à l’hôpital a poussé à la démission un certain nombre de soignants qui n’ont pas supporté de se voir imposer brutalement un ultimatum après avoir traversé une pandémie dans l’enfer d’un système de soin délabré. Ce sont des gens qui ont une certaine culture de l’insoumission, et leur éviction ne pourra que faciliter la privatisation de l’hôpital. Plus généralement, le passe sanitaire puis vaccinal a chassé de l’espace public des centaines de milliers de personnes qui, comme l’a expliqué sur Europe 1 en mars 2021 Marie Jauffret-Roustide, sociologue à l’Institut national de la santé (INSERM), « ont un profil très politisé ». Loin d’être toutes opposées à la vaccination en général, une partie d’entre elles n’accepte pas les conditions dans lesquelles la politique vaccinale a été mise en œuvre, ou conteste le principe d’un espace public régi par l’identification par QR code, redoutant ses usages futurs et sa banalisation.
La politique sanitaire du gouvernement se double donc d’une tentative pour se débarrasser des « fortes têtes » : de l’aveu même du président, qui déclare vouloir « emmerder les non-vaccinés » à qui il dénie le statut de citoyens. La police sanitaire autoritariste que nous subissons depuis deux ans risque de laisser des marques. (...)
des techniques de gouvernement issues de la formidable boîte à outils que la police sanitaire constitue pour les dirigeants, comme le passe vaccinal.