
En dépit de l’accord de Paris, les émissions de gaz à effet de serre sont au plus haut. Des actions renforcées sont nécessaires pour tenter de rester sous la barre des 1,5 °C degré de réchauffement. Avec le récent pacte vert européen – qui vise la neutralité carbone d’ici 30 ans –, l’Europe semble prendre ses responsabilités en se donnant des objectifs à la hauteur des défis environnementaux actuels et à venir.
Le pacte vert s’inscrit dans une longue dynamique de politiques portant sur l’efficacité énergétique, les déchets, l’écoconception, l’économie circulaire, l’achat public et l’information des consommateurs. Grâce à ces orientations, l’UE pense avoir réalisé le découplage tant attendu (...)
Dans ce cadre, les mesures d’efficacité devraient réduire la consommation d’énergie de moitié ; l’étiquette-énergie, et les gains assez énormes qu’elle a permis de réaliser est mise en avant.
Selon le pacte vert, le déploiement des renouvelables devrait permettre de réduire la part des fossiles à 20 %. (...)
Dans ce nouvel ordre des choses, un jeu de rôles est également identifié : d’un côté, des producteurs de produits propres ; de l’autre, des citoyens qui les achètent. À cette mobilisation des producteurs et des consommateurs s’ajoutent la mobilisation des budgets nationaux, du budget européen et de la finance « verte », privée, dont le cadre est attendu pour la fin de l’année 2020. (...)
L’épreuve du réel pour le pacte
Victoire finale ? Tout l’indique, du moins sur le papier.
Mais ce n’est pas si simple et l’UE reconnaît elle-même que les améliorations dans le domaine de l’efficacité énergétique et des réductions d’émissions de gaz à effet de serre stagnent.
Les causes de cette stagnation sont les suivantes, par ordre d’importance : la croissance économique ; le ralentissement des gains en efficacité énergétique, notamment dans le transport aérien ; la forte croissance des SUV ; et enfin l’ajustement à la hausse des émissions réelles des véhicules, réalisé à la suite du « diesel gate » (+30 %).
Plus grave, les émissions nettes de l’UE, c’est-à-dire celles incluant les importations et les exportations, montrent une croissance de 8 % des émissions pour la période 1990-2010.
L’efficacité a ses limites et les gains les plus faciles à réaliser se trouvent en général au départ, beaucoup plus rarement à l’arrivée.
Le défi du numérique
Pour le pacte vert, « les technologies numériques s’avèrent d’une importance cruciale pour atteindre les objectifs fixés en matière de développement durable, et ce dans une grande variété de secteurs » – 5G, vidéosurveillance, Internet des objets, informatique en nuage ou IA. Vraiment ? On peut en douter.
Diverses études, dont celles du Shift Project montrent que les émissions du secteur numérique ont doublé, entre 2010 et 2020. Elles sont aujourd’hui plus importantes que celles de l’aviation civile, aujourd’hui pointée du doigt. Quant aux applications mises en avant par le pacte vert européen, elles figurent parmi les plus consommatrices, selon divers scénarios prospectifs.
La croissance des usages sera-t-elle compensée par l’efficacité énergétique ? Le secteur a connu des progrès fulgurants, presque sans égal. (...)
Autant de progrès qui semblent aller à l’infini…
Sauf qu’une limite absolue (« la limite de Landauer ») a été identifiée dès 1961 et vérifiée en 2012. D’après l’industrie des semi-conducteurs elle-même la limite se rapproche rapidement, au regard de la temporalité invoquée par le pacte vert.
Cela, alors que la consommation de trafic et de puissance de calcul augmente de manière exponentielle. Est-il bien raisonnable de continuer à se rendre toujours plus dépendants du numérique au motif que de vagues courbes d’efficacité feraient apparaître des « lois » de réduction de la consommation ?
D’autant que les gains obtenus en matière d’efficacité énergétique n’ont pas grand-chose à voir avec une inscription croissante dans des modes de vie plus écologiques : les motivations ont été le coût, l’évacuation de la chaleur, le souci de rendre les dispositifs numériques portables pour qu’ils puissent à tout moment capturer notre attention.
Ces limites sur l’efficacité expliquent la montée en puissance de la thématique de la sobriété numérique. Le Conseil national du numérique a présenté sa feuille de route, peu après celle de l’Allemagne. Mais le pacte vert s’entête dans cette même voie : celle qui consiste à s’appuyer sur un secteur numérique imaginaire qui n’a pas grand-chose de commun avec le secteur réel. (...)
Car le numérique est d’abord un facteur de croissance (...) Plus de numérique, ce sera d’abord plus d’émissions. Et si ce n’est pas le cas, ce sera parce qu’un virage écologique aura été pris, y compris pour le numérique.
On peut légitimement se demander ce que cherche vraiment à garantir le pacte vert. Le climat ou les marchés numériques des grands groupes ?