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Alternatives Economiques
Le nucléaire français, un problème européen
Article mis en ligne le 23 novembre 2018
dernière modification le 22 novembre 2018

Fermera, fermera pas ? Le gouvernement français va annoncer dans les prochains jours s’il mettra ou non à l’arrêt définitif des réacteurs nucléaires dans le cadre de sa « programmation pluriannuelle de l’énergie » (PPE) pour les années 2019-20281. Un document d’orientation clé attendu depuis déjà plus de quatre mois dans lequel le pays doit préciser sa trajectoire de production et de consommation d’énergie dans le cadre de sa contribution à l’effort climatique européen.

En France, la part du nucléaire dans la production électrique atteint un niveau extravagant (71 % en 2017), unique en Europe (...)

Pour revenir au niveau de 50 % de nucléaire tout en respectant les autres objectifs de la loi de transition énergétique de 2015 (sur la baisse de la consommation énergétique et la hausse de la production d’énergie renouvelable, notamment atteindre 40 % d’électricité d’origine renouvelable à l’horizon 2030), il faudrait, a rappelé en 2016 le rapport annuel de la Cour des comptes, que la France ferme progressivement 17 à 20 de réacteurs sur 58, ceux qui précisément vont peu à peu arriver à quarante années de fonctionnement, la limite d’âge pour laquelle ils ont été conçus. Cependant, dans cette affaire, le gouvernement écoute surtout son lobby nucléaire qui le presse de limiter au maximum ces fermetures en prolongeant la durée de vie de ses réacteurs nucléaires. (...)

D’après le document gouvernemental qui a fuité hier, trois scénarios sont sur la table. Le premier, qui émane du ministère de l’Ecologie, envisage 6 fermetures entre 2023 et 2028 et 6 autres entre 2029 et 2035, soit 12 au total en plus de la centrale de Fessenheim. Par ailleurs, aucun nouveau chantier ne sera décidé durant le quinquennat. Le deuxième scénario est calqué sur les revendications d’EDF : pas de fermeture de réacteur supplémentaire avant 2029 et prolongation de la durée de vie des centrales à cinquante ans de fonctionnement.

Ce deuxième scénario envisage ainsi, comme le premier, une douzaine de mises à l’arrêt définitif, mais concentrées sur la période 2029-2035. A l’instar du scénario 1, il n’y aurait pas de décision sur l’EPR durant ce quinquennat, à la différence du scénario 3 porté par le ministère de l’Economie, qui veut lancer 4 nouveaux EPR, dont les deux premiers en 2034, ce qui supposerait une décision rapide. Par ailleurs, 9 réacteurs seulement seraient fermés entre 2028 et 2035. (...)

Par rapport à l’estimation du rapport de la Cour des comptes, ces trois scénarios ont en commun de minimiser le nombre de fermetures de réacteurs d’ici à 2035. Parallèlement, il est prévu dans tous les scénarios d’accélérer le rythme d’installation de capacités renouvelables nouvelles (il a atteint 2,8 GW en 2017) dans un contexte où la consommation d’électricité en France devrait stagner ou décliner au moins jusqu’en 2035 selon le dernier bilan prévisionnel de RTE. Le résultat sera donc un important excédent de production d’électricité… que la France aura besoin de pouvoir exporter sur les marchés européens.

Excédents à exporter
Ce qui apparaît comme un débat franco-français devient à cet égard un sujet très européen. Si, comme elle s’apprête à le faire, la France opte pour un scénario très fortement exportateur d’électricité (afin de préserver au maximum son parc de réacteurs) dans un contexte européen de stagnation de la demande électrique3 et, parallèlement, de développement rapide de la production d’origine renouvelable, le résultat ne pourra être qu’une aggravation des excédents de capacités de production dont souffre la plaque électrique ouest-européenne depuis plusieurs années. (...)

Au risque économique d’un tel scénario s’ajoute bien entendu celui de l’accident. (...)

Les conséquences d’un accident grave en France ne s’arrêteraient évidemment pas à ses frontières et toucheraient une grande partie de l’Europe. On a tendance à l’oublier, mais du fait des choix particuliers de la France, l’UE est la région la plus nucléarisée du monde. (...)

a France n’envisage absolument pas d’abandonner le nucléaire, à la différence de ses voisins européens qui l’ont quitté de longue date (Italie, Irlande, Grèce, pays Baltes…) ou sont en train d’en sortir (Allemagne, Belgique, Espagne…). Au contraire, elle n’exclut pas de construire une série d’EPR (European Pressurized Reactor) pour renouveler, au moins en partie, les capacités électriques fournies actuellement par son parc de réacteurs, dont 48 unités sur 58 auront passé l’âge de 40 ans en 2028.

Là encore, un tel choix représente un enjeu de sécurité non seulement pour la France mais pour l’Europe dans son ensemble. (...)

La France est d’autant plus pressée de trouver un marché intérieur pour son EPR qu’elle ne parvient pas vraiment à le vendre à l’étranger. D’une part, elle se heurte à ses concurrents asiatiques. D’autre part, et surtout, le nucléaire est une industrie dont le déclin apparaît irréversible, à en juger par les chiffres réunis par le World Nuclear Industry Status Report, un rapport annuel indépendant qui depuis 2004 fait un état des lieux de l’évolution du secteur. (...)

Après un maximum historique atteint en 1976, le nombre des mises en construction n’a cessé de reculer pendant les vingt années qui ont suivi, jusqu’à tomber à zéro en 1995. Le redémarrage observé par la suite a pu faire croire à une « renaissance » de l’atome, dans le contexte porteur de la prise de conscience climatique. Las ! Cette dynamique, qui n’a jamais dépassé les niveaux atteints dans les années 1960 et qui reposait quasi-exclusivement sur la Chine, s’est effondrée après 2010. (...)

Même si l’investissement dans l’éolien et le photovoltaïque a fortement reculé à l’échelle de l’Union européenne depuis 2011 et ne s’est toujours pas redressé, il a de fait aujourd’hui supplanté l’investissement dans le nucléaire. Par ailleurs, les coûts des filières renouvelables se sont effondrés. Résultat, l’écart entre le nucléaire et les renouvelables, que l’on regarde les capacités installées ou la production, devient abyssal. (...)

En ce qui concerne les volumes produits, l’écart est encore plus spectaculaire. (...)

Il ne faut toutefois pas perdre de vue que les moyens de production sales (nucléaire, charbon, gaz) constituent aujourd’hui l’essentiel du mix électrique européen. Si la baisse de la production électrique à base de charbon et du nucléaire sont des tendances de fond, le gaz, moyen de production qui émet du CO2, connaît un mouvement de reprise rapide, tandis que les renouvelables à fort potentiel que sont l’éolien et le photovoltaïque sont encore très loin d’avoir éliminé leurs concurrents. (...)

En ce qui concerne le nucléaire neuf, il semble condamné par le marché aussi bien en Europe que dans le reste du monde. Le prix du KWh tel qu’il ressort du contrat passé par EDF avec l’Etat britannique pour la construction des deux réacteurs d’Hinkley Point s’élève à près de 110 €. Réacteurs qui, rappelons-le, n’ont pas encore vu le jour ! Quant aux renouvelables, le dernier appel d’offres lancé en France donne un coût moyen de 55 €/MWh pour le photovoltaïque au sol.

A ce niveau, même en incluant les charges liées à la gestion de l’intermittence des énergies renouvelables, même en tenant compte d’une éventuelle baisse des coûts du nucléaire si celui-ci venait à se déployer (ce qui ne correspond à aucune tendance du marché), le nucléaire perd le seul avantage qu’il pouvait jusqu’à présent mettre en avant : ses coûts.

En ce qui concerne les sources fossiles, il ne faut pas trop compter sur les forces du marché pour les voir disparaître. Seules des politiques publiques plus ambitieuses permettront de les éliminer. (...)

Il est difficile d’imaginer que les pays les plus embourbés dans le charbon et le gaz acceptent de faire un effort supplémentaire avec leurs centrales si la France engluée dans le nucléaire n’en fait pas autant avec les siennes. En Europe, un deal sur les fossiles passe par un deal sur les fissiles (nucléaire) et vice-versa.