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orient XXI
Le mouvement BDS rebat les cartes du débat israélo-palestinien
Article mis en ligne le 1er décembre 2018
dernière modification le 29 novembre 2018

Le 19 novembre Airbnb Inc. a retiré de ses offres de location les logements situés dans les colonies de Cisjordanie « qui sont au cœur du conflit entre Israéliens et Palestiniens ». En réaction, le ministre israélien du tourisme Yariv Levin a demandé à son administration de réduire l’activité de Airbnb Inc. en Israël même. Cette décision, parmi d’autres, confirme l’importance prise par la campagne Boycott-désinvestissement-sanctions (BDS).

La campagne Boycott-désinvestissement-sanctions (BDS) est en train de rebattre les cartes du conflit israélo-palestinien. Depuis sa création il y a treize ans, elle s’est attiré des ennemis dans tous les camps. Elle a contrarié les efforts des États arabes qui cherchaient à renoncer à leur propre boycott vieux de plusieurs décennies en faveur d’une coopération avec Israël. Elle a discrédité le gouvernement de l’Autorité palestinienne (AP) à Ramallah en dénonçant sa collaboration sécuritaire et économique avec l’armée israélienne et l’administration militaire. Elle a indisposé l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en empiétant sur son rôle de défenseur internationalement reconnu et de représentant des Palestiniens de l’étranger

EMPÊCHEURS DE TOURNER EN ROND
BDS a excédé le gouvernement israélien par ses tentatives d’en faire un pestiféré auprès des libéraux et des progressistes, exaspérant ce qui restait du « camp de la paix » israélien en incitant les Palestiniens à passer d’une lutte contre l’occupation à un combat contre l’apartheid. Il a engendré dans les rangs du gouvernement israélien une telle contre-offensive antidémocratique qu’elle suscite parmi les libéraux israéliens les plus vives inquiétudes pour l’avenir de leur pays. Enfin, le mouvement représente un casse-tête pour les donateurs européens qui sont l’objet de pressions de la part d’Israël pour qu’ils ne travaillent pas avec les organisations pro-BDS dans les territoires palestiniens — requête impossible dans la mesure où la quasi-totalité des grands groupes de la société civile à Gaza et en Cisjordanie est favorable au mouvement.

À une époque de responsabilité sociale des entreprises, BDS a fait de la contre-publicité aux grands groupeséconomiques liés à l’occupation israélienne (Re/Max, Hewlett Packard) et a poussé d’autres entreprises importantes à quitter la Cisjordanie. BDS a perturbé des festivals de cinéma, des concerts1 et des expositions à travers le monde. Il a irrité des organisations universitaires et sportives en les politisant, exigeant d’elles qu’elles prennent position sur un conflit qui est source d’intenses divisions. Il a suscité la colère d’interprètes et d’artistes palestiniens qui travaillent avec des institutions israéliennes, en les accusant d’offrir une couverture palestinienne aux violations des droits humains commises par Israël.

Au Royaume-Uni, BDS a perturbé le fonctionnement des tribunaux et des conseils municipaux en les entraînant dans des débats sur la légalité du boycott des produits des colonies. Aux États-Unis, la campagne a poussé une vingtaine d’États à adopter des projets de loi ou à émettre des ordonnances empêchant ou pénalisant ceux qui boycottaient Israël ou ses colonies, dressant les alliés d’Israël contre les défenseurs de la liberté d’expression telle que American Civil Liberties Union.

Dans la diaspora juive, BDS a créé de nouveaux schismes au sein du centre-gauche qui s’est retrouvé pris en étau entre, d’un côté, le gouvernement israélien de droite favorable aux colonies et, de l’autre, la gauche non sioniste. Il a entraîné les sionistes libéraux à s’interroger sur les raisons pour lesquelles ils acceptaient parfois le boycott des produits des colonies et pourquoi en d’autres occasions ils refusaient celui de l’État qui les crée et les soutient. Il a contraint les soutiens les plus critiques d’Israël à justifier leur opposition aux formes de pression non violentes sur Israël, alors que l’absence de pressions réelles a permis la poursuite de l’occupation et l’expansion des colonies.

Plus significatif encore, BDS a remis en cause le consensus international sur la formule dite des « deux États ». Il a ainsi complètement perturbé le fonctionnement des associations à but non lucratif, celui des missions diplomatiques et des groupes de réflexion œuvrant en faveur du processus de paix au Proche-Orient, en sapant le fondement même de leur principe selon lequel le conflit pouvait être simplement réglé par la fin de l’occupation israélienne de Gaza, de Jérusalem-Est et du reste de la Cisjordanie, sans que soient traités les droits des citoyens palestiniens d’Israël et ceux des réfugiés.

Pour bon nombre de juifs de la diaspora, BDS est devenu l’incarnation du mal et une source d’angoisse, une force machiavélique qui fait passer le débat israélo-palestinien d’une négociation sur la fin de l’occupation et le partage du territoire à une dispute sur les racines plus anciennes et plus profondes du conflit : le déplacement originel de la majorité des Palestiniens et l’établissement d’un État juif sur les ruines de leurs villages conquis. L’émergence du mouvement BDS a ravivé de vieilles interrogations sur la légitimité du sionisme, sur les raisons pour lesquelles les juifs auraient des privilèges par rapport aux non juifs et sur celles qui autoriseraient les réfugiés d’autres conflits à revenir chez eux, mais pas ceux du conflit israélo-palestinien. Et surtout, il a soulevé la question épineuse qui ne peut être indéfiniment négligée, à savoir si Israël, même s’il cesse son occupation de la Cisjordanie et de Gaza, peut être à la fois une démocratie et un État juif. (...)

Plus de 170 organisations palestiniennes dans les territoires occupés, en Israël et dans la diaspora ont approuvé l’appel au boycott. Elles couvrent l’ensemble du spectre politique (...)

Ce qu’apportait BDS, c’était le rassemblement de campagnes disparates autour de trois exigences claires, une pour chaque grande composante du peuple palestinien. La première était l’exigence de liberté pour les résidents des territoires occupés ; la seconde, l’égalité pour les citoyens palestiniens d’Israël ; la troisième, enfin, la justice pour les réfugiés palestiniens en diaspora — le groupe le plus important — y compris le droit de rentrer chez eux.

L’appel au BDS ne constituait pas un défi seulement pour Israël ; il l’était aussi pour la direction palestinienne. (...)