
Le terme « famine » est l’un des plus forts du vocabulaire humanitaire, doté du pouvoir de faire apparaître des images insoutenables de souffrance humaine, de désespoir et d’échec mondial.
En théorie, ça devrait être l’équivalent humanitaire d’une alarme incendie – à n’utiliser qu’en cas d’extrême urgence.
La semaine dernière, la directrice du Programme alimentaire mondial (PAM) a brisé la glace en alertant que le Yémen risquait de connaître la famine si la tendance actuelle se confirmait.
Résultat ? Du verre partout, mais pas la moindre brigade de pompiers en vue : pas de regain d’intérêt de la part de la communauté internationale, pas de nouvelle mise en exergue, pas de pression en faveur d’une résolution du conflit. Les humanitaires racontent que ça avait été la même chose l’année dernière, lorsque les Nations Unies avaient émis un avertissement analogue au sujet du Soudan du Sud.
Le terme « famine » a-t-il encore le pouvoir de mobiliser le monde, ou a-t-il entièrement perdu sa capacité à choquer ? Et si c’est le cas, quelles en sont les raisons ?
Laisser l’incendie s’éteindre de lui-même
Techniquement, la famine a une définition claire et n’est déclarée que lorsqu’un certain nombre d’indicateurs sont atteints. Concrètement, lorsqu’au moins 20 pour cent des foyers sont exposés à d’extrêmes pénuries alimentaires avec des moyens très limités pour y faire face, quand la prévalence de la malnutrition aiguë globale dépasse 30 pour cent et quand le taux de mortalité est supérieur à deux décès par jour pour 10 000 personnes.
Mais le terme est également employé par le système humanitaire pour capter l’attention de la communauté internationale. L’exemple le plus célèbre est celui de la campagne Live Aid de 1985, mise sur pied pour tenter d’enrayer la famine en Éthiopie qui a fait plus de 400 000 victimes. La campagne aurait été inspirée par un reportage faisant allusion à une « famine biblique ».
C’est précisément parce qu’il jouit d’un tel pouvoir d’influence sur l’opinion publique que l’emploi du terme est soigneusement restreint, afin d’en conserver tout l’impact.
« Nous avons déjà perdu la capacité à mobiliser par le recours à n’importe quel autre mot », a dit Saul Guerrero, directeur des opérations de l’organisation humanitaire Action contre la faim Royaume-Uni (ACF-UK), qui place le terme « famine » au même niveau que celui de « génocide » en termes d’impact. (...)
« Une nouvelle évaluation a été conduite par téléphone mobile auprès de plus de 1 100 personnes sélectionnées au hasard dans 10 gouvernorats du Yémen – essentiellement des zones de conflit auxquelles nous n’avons pas accès, afin de restituer l’ampleur du problème », a-t-elle dit. « Il y a des thèmes communs – pas d’eau, un manque de nourriture, une dégradation, un contexte de crise, des prix élevés – la situation empire. »
« Alors [la directrice internationale du PAM, Ertharin Cousin] a pris la décision de parler du risque de famine pour attirer l’attention sur cette crise grandissante. »
Bon nombre de médias internationaux ont relayé son discours. La semaine précédente, le déplacement au Yémen du plus haut fonctionnaire des Nations Unies, Stephen O’Brien, avait bénéficié d’un écho bien moindre.
Il semblerait pourtant que le monde soit resté impassible. L’impact a été nul, à en juger par les recherches Google. En fait, le nombre de recherches pour les termes « famine » et « Yémen » est resté presque inchangé. Côté diplomatie, pratiquement aucun gouvernement n’a réagi.