
Constructions neuves ou rénovations, le monde du bâtiment a de nombreux progrès environnementaux à faire. Reporterre a mené l’enquête pour comprendre ce qui freine la transition écologique de ce secteur hautement énergivore et émetteur de gaz à effet de serre.
Depuis le siège où vous lisez cet article, contemplez le bâtiment qui vous abrite : Est-il correctement isolé ? Avec quels matériaux est-il construit ? Où ceux-ci ont-ils été prélevés ? A-t-il été installé sur une terre naturelle ou agricole ? Faut-il une climatisation pour y maintenir une température acceptable ? Quelle consommation d’énergie requiert-il ? Les murs, sols, plafonds contiennent-ils des substances potentiellement dangereuses pour votre santé ?
Il est très probable que la réponse à au moins une de ces questions n’aille pas dans le sens de l’écologie. Les derniers chiffres de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) indiquent que les bâtiments représentent 45 % de notre consommation d’énergie et 27 % des émissions de gaz à effet de serre en France. 7,4 millions de logements sont considérés comme des « passoires énergétiques », dont 2,6 millions sont occupés par des ménages « modestes » [1].
Par ailleurs, la simple observation des chantiers permet de constater que le béton reste le matériau dominant, entraînant une surexploitation du sable. La surface des terres construites en France croît de 1,1 % par an, au détriment des terres agricoles et naturelles.
Bref, comme dans tant d’autres secteurs, les conséquences des bâtiments sur le climat et la biodiversité ne sont plus à démontrer. (...)
Pourtant, si, il y a vingt ans, les exemples étaient encore très rares, les bâtiments écologiques se multiplient désormais. Le monde des autoconstructeurs, principalement de maisons individuelles en paille, terre, chanvre, et autres matériaux naturels, a ouvert une voie où collectivités locales et bailleurs sociaux s’engagent.
Ainsi, le plus haut bâtiment en bois et paille d’Europe (mais il sera très bientôt dépassé) est une tour de logements sociaux à Saint-Dié (Vosges), inaugurée en 2014. Et tout comme le bio s’introduit dans les assiettes via les cantines, beaucoup de bâtiments précurseurs sont des établissements scolaires. (...)
le monde du bâtiment reste majoritairement dans une culture héritée de l’après-Seconde Guerre mondiale. « Il fallait reconstruire, loger les gens », raconte Gilles Alglaves, président de l’association Maisons paysannes de France. La législation place la rupture entre bâtiments anciens et nouveaux en 1948. « Avant, les maisons naissaient du sol où on les construisait, de la pierre et de la terre locales. Dorénavant, les bâtiments sont coupés de leur environnement, poursuit-il. Le principe des bâtiments anciens était le bioclimatisme [2], alors qu’aujourd’hui on pense isolation [3]. »
Manque de savoir-faire
Face au tout béton contemporain, les bâtisseurs et restaurateurs écolos vont chercher l’inspiration du côté de l’architecture vernaculaire [4] et des matériaux naturels tels que la terre, le bois, la paille. Seul souci : rares sont ceux qui savent les mettre en œuvre (...)
L’Ademe a bien tenté de former massivement les artisans à la rénovation énergétique, via la labellisation RGE (reconnu garant de l’environnement). Mais les enquêtes de l’UFC-Que choisir ont montré l’échec de cette politique, l’expliquant par une faiblesse des formations, un manque de contrôle des professionnels, et l’absence d’obligation de résultat.
Cette déficience est majeure : car comme la construction ne renouvelle chaque année que 1 % du parc immobilier, l’enjeu premier du secteur du bâtiment pour faire face à la crise écologique est en fait d’entreprendre une rénovation massive de l’existant. Pourtant, « les artisans ne sont pas du tout formés à la restauration du bâti ancien, observe Gilles Alglaves. On a obtenu la création d’un bac professionnel restauration du bâti ancien en 2006, mais seulement 25 lycées en France le proposent. Il n’y a pas de volonté de former. Pourtant, il y a du travail, beaucoup de gens nous demandent des adresses d’artisans qualifiés. » (...)
Rendre le torchis aussi accessible que le parpaing
La disponibilité des matériaux respectueux de l’environnement est aussi à améliorer. La massification de leur utilisation demanderait de la recherche et développement. (...)
En attendant, ce sont les associations de particuliers motivés qui ouvrent la voie. Gilles Alglaves, après avoir rénové lui-même sa maison en torchis, a convaincu un petit industriel voisin de l’Oise de se lancer dans le torchis prêt-à-l’emploi. « On voulait que ce soit aussi accessible que le parpaing », explique-t-il. Mais là encore, le développement à grande échelle reste complexe. (...)
Autre bouleversement, la question du coût. La terre ou la paille sont très peu chères, voire gratuites. Mais bâtir avec ces matériaux demande plus de temps et de savoir-faire, donc davantage de main-d’œuvre et mieux payée. Même au niveau de la conception, « chercher à réutiliser, réemployer » demande plus de temps, explique Yvan Fouquet. Dès lors, il faut tout revoir pour tenter de limiter la facture, et notamment construire des bâtiments plus petits. « Ou mutualiser les espaces », suggère Alain Bornarel. C’est la piste choisie par beaucoup de collectifs se lançant dans l’habitat participatif, qui met en commun un certain nombre de services : machine à laver, chambre d’amis, atelier de bricolage…
Mais, à écouter nos interlocuteurs, tout cela coûte encore trop cher pour les géants du BTP. (...) « Leur modèle économique, c’est de prendre un champ qui coûte 3 € du mètre carré et de revendre de l’immobilier 5.000 € du mètre carré, dit Yvan Fouquet. Résultat, on a des milliers de mètres carrés de bureaux vides. » (...)
Résistance à l’innovation, inefficacité de la formation, modèle économique fondé sur des bâtiments bas de gammes… Le bâtiment frugal a encore quelques obstacles à franchir avant de devenir la norme. « La qualité écologique n’est pas encore devenue un critère de choix dans le bâtiment, à la différence de l’alimentation », résume Alain Bornarel. (...)