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le Monde Diplomatique
Le « modèle allemand » ou comment s’obstiner dans l’erreur
Article mis en ligne le 12 mai 2013
dernière modification le 9 mai 2013

à l’instar des personnages de Tex Avery, banquiers centraux, économistes orthodoxes et dirigeants politiques ignorent les faits et galopent, pour quelques temps encore, dans un éther de croyance.

Leur credo du moment porte le nom de « modèle allemand », expression synthétique de la doctrine économique portée par les élites européennes qui associe austérité budgétaire (réduire le déficit de l’Etat et la dette), austérité monétaire (monnaie forte, lutte contre l’inflation) et austérité salariale.

Ce dernier volet, mis en œuvre par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder dans les années 2000 et systématisé depuis par la droite allemande, repose lui-même sur deux principes. Premièrement, « activation » coercitive des chômeurs par le rabotage des prestations sociales et l’obligation d’accepter des emplois mal payés (les « mini-jobs »). Deuxièmement, création d’un marché du travail flexible et précaire destiné à accueillir ces nouveaux salariés des services dans un pays dépourvu de salaire minimum ; des accords syndicaux de branche troquent simultanément le maintien dans l’emploi des salariés de l’industrie contre la rigueur salariale et l’aménagement du temps de travail à la convenance de l’employeur. Ainsi cet appareil productif rendu « compétitif » par la baisse des « coûts du travail » et dopé par une fiscalité accommodante se tourne-t-il vers l’exportation et la conquête des marchés émergents.

Sur le papier, ce « modèle » séduit.(...)

Mais la face sombre du « consensus de Berlin » pourrait compromettre l’extension durable de cette politique à l’ensemble des pays de la zone euro. Le paradis des petites et moyennes industries est aussi celui de la précarité où quatre salariés sur dix sont payés moins de 1000 euros par mois. Où l’imaginaire social et les pratiques salariales cantonnent encore largement les femmes aux tâches domestiques, agrémentées ou non d’un « petit boulot » à temps partiel ; payées 23 % de moins que les hommes, elles représentent la majorité des trois millions de salariés rémunérés moins de 6 euros de l’heure. Où le vieillissement explique une part importante de la baisse du chômage (...)

Toute croyance a son église, ses prélats, ses cardinaux. Et ses inquisiteurs, désormais installés à la tête des grandes rédactions françaises. Critiquer le « modèle allemand », ou simplement signaler ses à-côtés, relèverait de l’hérésie. Il a suffi qu’un brouillon de texte du parti socialiste émette, vendredi 26 avril, des réserves sur la politique économique menée à Berlin pour que Libération (29 avril) titre « Le PS dérape », son éditorialiste évoquant la convergence du « populisme », de la « xénophobie » et d’une « douteuse germanophobie » ; pour que Le Figaro (27-28 avril) annonce en Une que « Le PS déclare la guerre à l’Allemagne » ; pour que l’éditorial du Monde (28-29 avril) morigène « ce petit jeu infantile [...] extrêmement dangereux » mêlant « démagogie » et « populisme ». Et pour que le directeur du Point (2 mai), Franz-Olivier Giesbert, mal remis d’une condamnation pour diffamation, conjure les puissances malfaisantes de l’hétérodoxie avec son sens coutumier de la mesure : « Mélangez morphine, hallucinogènes, paresse intellectuelle et vous aurez le texte du PS, un copier-coller des bouffonneries involontaires que l’on peut lire dans Le Monde diplomatique ou dans Alternatives économiques, nos deux bibles du vaudouisme appliqué aux finances publiques. »

S’ils ont le diable en tête, faut-il également exorciser les lecteurs du « Monde diplomatique » ?