
Hervé Kempf est essayiste et un des pionniers du journalisme environnemental en France. Il est désormais rédacteur en chef du média Reporterre, spécialisé dans le reportage et le traitement de l’actualité de l’écologie. Hervé Kempf nous éclaire donc sur le rôle du journalisme dans le cadre de la transition écologique.
Dans cette série de grands entretiens, nous avons choisi de poser les mêmes questions à des personnalités du monde de l’écologie ayant chacune une approche, un métier, différents. Un tel projet est inédit et son but est de donner à voir comment chacun se complète pour esquisser les grandes lignes de l’urgente transition écologique. Chacun détient une partie de la solution, une partie des armes de la transition. La transdisciplinarité doit devenir une norme de travail, pas une exception.
La série Les Armes de la Transition existe aussi en format vidéo (...)
Le Vent se Lève – À quoi sert le journalisme dans le cadre de la transition écologique ? Pourquoi avez-vous choisi cette voie-là plutôt qu’une autre pour apporter votre pierre à ce combat ?
Hervé Kempf : Le journalisme sert toujours à nourrir la délibération et l’intelligence collectives. Dans la société dans laquelle on veut vivre, qui aspire à être démocratique, il faut veiller à comment l’assemblée des citoyens s’informe, délibère, discute, etc. Pour ça, il est absolument indispensable d’avoir des fournisseurs d’information qui permettent de raconter ce qui se passe avec un souci de l’exactitude et de la pertinence, qui permet que la discussion collective se mène, y compris que la conflictualité des débats s’opère. On a besoin de cette base d’information, de reflet de la réalité, qui définisse une réalité commune. (...)
Quand j’étais adolescent, on entrait dans la politique par l’écologie. Après la fin des années 70, le début des années 80 m’a fait un peu oublier ça, la vie a continué, et donc 1986 a joué comme un rappel vraiment très fort, en disant : « Il se passe des choses énormes, et personne n’en parle ! ». Personne, à l’époque, ne racontait vraiment l’environnement – ou très peu – sinon des magazines, des feuilles de chou très militantes et sans texture journalistique, et je me suis dit que j’allais m’investir là-dedans. Et finalement, depuis, je n’ai plus jamais quitté l’écologie. (...)
Beaucoup de journaux, à l’heure actuelle, ont une ligne rédactionnelle sans vraiment le dire. La majorité des journaux dominants ont, en fait, une ligne néo-libérale, mais ne le disent pas franchement, à quelques exceptions près, comme Les Échos en France, The Financial Times, qui disent très clairement : « Nous on est des journaux du libéralisme, de la défense du capitalisme, etc. ». C’est clair, et on peut juger après de leur journalisme – qui est souvent, d’ailleurs, du bon journalisme – nous, on est dans la même optique. Mais sur le plan de la pratique quotidienne, on a cette exigence d’une technique : je considère que le journalisme, c’est un peu comme la plomberie, l’agriculture, l’orthopédie… C’est un métier qui a ses techniques, son savoir-faire. (...)
Puisqu’on est quotidien, on va éditer Reporterre le matin. On va donc avoir une équipe d’édition le matin. Ce n’est pas toujours moi qui le fait, d’ailleurs, parce qu’on fait tourner, en gros, la fonction de rédacteur en chef. On boucle vers 10 heures, c’est-à-dire que tous les papiers sont en ligne, on les re-twitte, on les diffuse sur Facebook, etc. Après un tout petit temps de repos à la machine à café pour souffler un peu, se donner des nouvelles, regarder un peu les courriels, etc, on va avoir la conférence de rédaction. C’est le point des rédactions du matin, où on va discuter de « Qu’est-ce qu’on a demain ? Comment ça s’est passé ce matin ? Y a-t-il du nouveau par rapport à ce qu’on avait prévu ? » ; on discute un peu tous de ce qu’on à faire, de quels sont les sujets du jour. Éventuellement il peut y avoir une discussion plus approfondie. Et après, chacun se met à sa tâche, ceux qui sont en reportage ce jour-là vont en reportage, le secrétaire de rédaction prépare les papiers… Il n’y a rien de plus ennuyeux que de voir une salle de rédaction, parce que ce sont des gens devant leurs ordinateurs, qui lisent, éventuellement passent des coups de fil. C’est une partie du journalisme, mais le journalisme intéressant se fait en reportage, se fait dehors.
Je pense qu’il faut assumer la subjectivité du journaliste. Je pense qu’il faut faire ce qu’on a envie de faire. J’ai quasiment toujours fait ça dans ma vie de journaliste, sauf quand l’actualité vous impose quelque chose. (...)
Reporterre, comme tout journal, ne peut prendre qu’un nombre très limité de piges. On publie peu de choses par rapport à tout ce dont on entend parler, on fait une discussion collective pour savoir quelles enquêtes ou quels reportages on va lancer de l’extérieur, puisque l’équipe interne ne peut pas tout faire. (...)
LVSL – Quel est votre but, Hervé Kempf ?
HK : Faire en sorte que la société humaine au XXIe siècle reste en paix. Le but fondamental de la politique c’est d’assumer la conflictualité : l’espèce humaine a cette caractéristique d’entrer en conflit avec elle-même, et faire en sorte que ces conflits ne dégénèrent pas en un affrontement physique, en guerre, c’est ça la politique, fondamentalement. L’humanité est devenue un agent géologique, est devenue en capacité de transformer à ce point son milieu que ce milieu peut lui répondre de manière négative et donc, entraîner – je ne pense pas une destruction de l’humanité – mais en tout cas une dégradation considérable de ses conditions d’existence. Ce qui conduirait, à mon sens, à des affrontements violents, face à des ressources qui deviennent extrêmement rares et dans une humanité qui compte aujourd’hui 7, 8 ou 9 milliards d’habitants, ou qui va les compter.
Au petit niveau, à l’échelle microscopique, nanométrique même, qui est la mienne, comme celle de chaque individu, que cette force nanométrique aille dans un certain sens, et aille dans le sens de :
1- Faire comprendre à nos contemporains de la petite société française que la question écologique est fondamentale ;
2 – Que ça implique des transformations des modes de vie, de la culture, de la politique, de l’économie, tout aussi fondamentaux ;
3 – Que ça ne va pas être facile ;
4 – Que l’enjeu fondamental, c’est d’arriver à être en paix. Je ne sais pas s’il existe une harmonie possible ; en tout cas d’essayer d’éviter que notre destin passe, dans les décennies à venir, dans la gravité d’affrontements qu’on a déjà connu à d’autres époques de l’Histoire et moi, je voudrais éviter ce passage. (...)
on est vivant, on est jeune, ou moins jeune, peu importe… On a de l’énergie, il y a tellement de belles choses qui se font, tellement de belles alternatives, tellement de gens en ce moment qui se bagarrent, il vaut mieux se dire qu’on est ensemble. L’énergie collective, et les bons moments passés ensemble, et les victoires que parfois on remporte, même si elles sont ponctuelles ou parcellaires, ça donne de l’énergie, ça donne le moyen d’être ensemble. Et, quelque part, cette joie collective va irradier, elle va se transmettre. (...)