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Le jeu vidéo, un média militant ?
Entretien avec Laurent Checola et FibreTigre
Article mis en ligne le 17 novembre 2016
dernière modification le 11 novembre 2016

À la lumière des initiatives telles que la Mediajam ou Jeux Debout, nous nous sommes interrogés sur le potentiel du jeu vidéo comme vecteur de discours politique ou militant. Rencontre.

À l’image des autres médias tels que la télévision, la musique ou le cinéma, le jeu vidéo est vecteur de discours, de message, d’émotion. On ne remettra pas cette assertion en cause ici, même si pour beaucoup de Français, le jeu vidéo reste encore loin dans le classement des activités culturelles.

Les 7, 8 et 9 octobre derniers, une Game Jam s’est tenue dans les locaux du journal Mediapart qui proposait la création de jeux vidéo engagés. Le but était de créer un jeu sur la thématique de l’élection présidentielle. Huit équipes ont ainsi abordé ce sujet à leur propre manière afin d’informer, d’illustrer, ou de délivrer un message. (...)

Nous avons profité de cet événement pour nous interroger sur les possibilités qu’offrait le jeu vidéo quand il devient le médium d’un discours politique, du débat d’idées, et si un jeu pouvait devenir un objet de création clairement militant. Pour cela, nous nous sommes entretenus avec Laurent Checola, journaliste, et FibreTigre du studio LaBelle, co-organisateurs de la Mediajam.

Le jeu vidéo a-t-il sa place dans le débat d’idées ? (...)

il y a une demande de jeux alternatifs de façon générale, et le format de la game jam joue un rôle d’accélérateur pour tester des idées nouvelles. (...)

Aujourd’hui les jeux vidéo et l’industrie sont très politiques. CoD est un outil politique. La plupart des jeux où on a un système financier inébranlable (on ne peut pas braquer des marchands de RPG) sont des jeux victimes d’une certaine vision politique du monde.

Le système de subventions européen, qui valorise patrimoine et non violence, est aussi un système d’encadrement politique. Les relations en ligne sont arbitrées et font l’objet de politiques. Enfin, les stores (la plupart du temps américains) ont une politique éditoriale liée à une vision politique américaine. Sur l’appstore, vous pouvez tuer des gens mais pas parler sexualité par exemple. Cela rejoint le débat préoccupant de la politique de censure d’un store d’entreprise privée disposant d’un monopole. (...)

Si l’on parle bien de succès commercial, il suffit d’aller faire un tour sur Steam pour voir que le jeu Orwell, qui dénonce la société de surveillance était parmi les meilleures ventes de la semaine dernière.

Enfin, le choix de faire du jeu politique peut-être radical et désintéressé. Les jeux du collectif italien Molle Industria sont disponibles gratuitement et contribuent depuis 10 ans à l’essor des jeux engagés. (...)

Ce serait une grave erreur de faire un jeu militant. Les joueurs détestent être manipulés ou dupés. Le fait est que le monde politique n’est pas, contrairement à l’idée reçue, un tissu d’incompétents corrompus. Nous sommes dans des situations d’équilibre de « moins mauvaises situations possibles ». Le seul jeu politique envisageable est celui qui dirait « Vous n’êtes pas content de la situation ? Vous voilà président pendant 4 ans. À vous. »

Donc à moins de créer des situations fictives qui servent votre propos, comme dans CoD, vous ne pouvez pas faire passer un message militant politique autre que « la situation est complexe ». (...)

Le plus gros biais dans un jeu militant serait d’asséner un message et d’utiliser uniquement le jeu vidéo comme un manifeste. Les relations sociales, la chose politique, les systèmes économiques méritent mieux que la caricature. (...)

Une personne convaincue d’une opinion politique verra votre jeu avec ses lunettes. J’ai fait un petit jeu politique sur la crise syrienne et on m’a accusé simultanément de tenir un propos pro-israelien et pro-palestinien. Je pense qu’il faut d’abord faire le jeu pour soi : on se plonge dans la complexité d’un monde politique et on essaie de le comprendre et de le retranscrire dans le langage du game design. Si on a bien fait le taf, les joueurs s’y intéresseront, même si vos conclusions sont l’opposé de leurs convictions. (...)