Dans le cadre du plan de relance, le gouvernement alloue 200 millions d’euros à un plan de soutien à la filière forêt-bois pour soutenir le renouvellement des forêts dans leur adaptation aux changements climatiques. Louable, mais, comme l’explique l’auteur de cette tribune, en fléchant 150 millions vers des plantations, ce plan capitule face au lobby des planteurs d’arbres et rate un virage politique nécessaire face à l’urgence.
Nos forêts souffrent, c’est un constat unanime et partagé dans de plus en plus de régions françaises. Les sécheresses prononcées des dernières années ont entraîné des dépérissements importants, notamment dans l’est de la France. Plus inquiétant, ces dépérissements frappent aussi bien les forêts semi-naturelles que les monocultures. Il n’est pas question de nier ces faits. Mais l’ampleur du phénomène reste toutefois difficile à apprécier et il est essentiel de se garder de toute généralisation excessive et hâtive : les dernières données de l’Inventaire forestier national indiquent qu’environ 2% des arbres présenteraient une détérioration notable de leur houppier (un chiffre qui n’intègre pas encore les données de 2019).
De plus, toutes les situations ne sont pas comparables : certains peuplements souffrent mais ont des capacités de résilience, certaines essences meurent et d’autres résistent mieux. (...)
Dans d’autres cas, notamment les plantations monospécifiques d’épicéas autour de Verdun ou dans l’ouest de la France, c’est l’ensemble du peuplement qui s’effondre. Le réchauffement climatique joue ici davantage un rôle de révélateur d’une situation de déséquilibre : l’épicéa étant un arbre de montagne, le planter en plaine — et de surcroît en monoculture, comme cela a été fait après la guerre — le condamnait d’avance. Ces plantations sont le résultat d’une politique massive de boisement et reboisement soutenue par les pouvoirs publics à travers le Fonds forestier national, supprimé le 1er janvier 2000. Depuis cette date, certains acteurs de la filière forêt-bois ne cessent de réclamer son retour et la manne financière qui l’accompagne. Le plan présenté par le ministre de l’Agriculture exauce leur souhait avec ce qu’il présente lui-même comme le plus gros effort de reboisement depuis des décennies.
La question se pose donc aujourd’hui, de savoir si nous ne reproduirons pas les erreurs du passé. Pour cela, il est indispensable de clarifier les conditions d’accès à ces aides.
Dans une forêt bien gérée, il n’est pas besoin de planter des arbres
En réalité, dans une forêt bien gérée et en bonne santé, il n’est pas besoin de planter des arbres car la forêt se régénère naturellement par les semis des grands arbres. Face à la rapidité des changements climatiques, il peut être intéressant de venir appuyer cette dynamique naturelle avec des éclaircies bien dosées, un travail du sol superficiel et localisé, des plantations d’enrichissement par trouées ou sous le couvert, ou encore des îlots d’expérimentation, comme le fait par exemple l’Office national des forêts (ONF).
Mais dans tous les cas, la prudence doit être de mise pour éviter de déséquilibrer l’écosystème, de perdre la forêt en place et avec elle sa biodiversité et son stock de carbone. La coupe rase suivie d’un reboisement sur l’ensemble de la forêt doit rester une option de dernier recours quand aucune autre n’est possible. Elle doit être réservée aux cas de dépérissement sévère, définis par des critères clairs.
Cela pourrait paraître une évidence, mais les termes utilisés par le gouvernement pour cadrer ce plan de relance (« convertir des taillis ou taillis-sous-futaie pauvres en futaie régulière ou irrégulière », « régénérer des parcelles forestières en impasse sylvicole ou ruinées ») ouvrent grand la voie à des financements massifs pour multiplier les coupes rases et la transformation en monocultures de forêts en parfaite santé.
Des itinéraires techniques comme le balivage qui permettent de sélectionner des arbres d’avenir sans détruire l’intégralité du couvert forestier existent et sont éprouvés. Aujourd’hui, ce type d’itinéraire n’est que rarement préconisé par les coopératives forestières qui margent bien davantage en vendant des travaux de coupes, de travail du sol et de plantation : plutôt que de rééquilibrer la donne et de soutenir ce type de pratiques, le plan de relance arrose d’argent public les partisans d’une gestion plus intensive de la forêt. Un hold-up d’autant plus regrettable que ces coupes rases font l’objet d’une vive contestation sociale, soutenue par les élus locaux dans le Morvan, et font tache d’huile dans d’autres territoires comme en Dordogne où les paysages commencent à se modifier en profondeur. (...)
Exiger que l’on varie les espèces sur les nouvelles plantations
La troisième condition est la diversification. Les études scientifiques convergent clairement sur ce point : une forêt mélangée est plus résiliente et résiste donc mieux aux aléas climatiques et à ses conséquences. (...)
Lorsqu’un reboisement de l’ensemble d’une parcelle est indispensable, au moins deux conditions devraient être exigées : (1) que toute nouvelle plantation soit composée d’au moins trois espèces différentes à raison d’au moins 20% chacune ; (2) que la plantation comporte au moins 20% de plants des espèces arborescentes naturelles du lieu.
Enfin, et c’est peut-être la condition la plus importante, il est urgent de réinventer le contrat sociétal autour des forêts. (...)