
Dans un dictionnaire historique et humoristique, le chroniqueur de France Inter égratignait Vincent Bolloré, premier actionnaire de Vivendi, maison mère du groupe d’édition. Le directeur du Robert invoque aussi des « risques de contentieux »
Le fin mot de l’histoire de France en 200 expressions, devait être un livre rigolo.
Est-ce qu’il n’a pas fait rire Vincent Bolloré, premier actionnaire de Vivendi, maison mère d’Editis, le groupe d’édition chargé de publier l’ouvrage ? Michèle Benbunan, sa directrice générale a en tout cas préféré purement et simplement faire suspendre ce livre. (...)
Explication officielle : « sept passages » du livre seraient « susceptibles de donner lieu à contentieux », a expliqué, mardi 13 septembre au soir, fort ennuyé et visiblement bouleversé, le directeur des éditions Le Robert, Charles Bimbenet, à Guillaume Meurice. Soit l’avant-veille du rendez-vous fixé aux auteurs pour venir signer leur ouvrage, qui s’inscrivait dans une collection à laquelle ont participé des auteurs prestigieux comme le linguiste Alain Rey (200 drôles de mots qui ont changé nos vies depuis 50 ans, ouvrage publié en 2017).
« Pas de caviardage »
L’éditeur avait pourtant sollicité lui-même les auteurs il y a un an et le fameux dictionnaire avait été lu, relu, annoté. « Tout roule désormais selon la direction juridique sauf deux expressions : Louboutin et Bolloré », finit par expliquer M. Bimbenet à Guillaume Meurice début août. Le premier passage litigieux concernait Vincent Bolloré, cité dans la définition de « Faire long feu : Expression remplacée aujourd’hui par : révéler sur Canal+ les malversations de Vincent Bolloré ». L’autre entrée du dictionnaire posant problème concernait l’expression « Etre talon rouge : Aujourd’hui, les Louboutin jouent le même rôle : bien montrer aux autres qu’on est capable de porter un smic à chaque pied ».
« Pas de caviardage, répond en riant le chroniqueur de France Inter, sinon je fais une vidéo pour dire ce qui vous attend quand on écrit un livre chez Bolloré ! » (...)
Charles Bimbinet prend note et le rassure : « Ok. On laisse comme ça. Ça va le faire. »
Selon la direction de la communication du groupe, ces nouveaux passages sont susceptibles de tomber sous le coup « de la diffamation, de l’injure et de la calomnie » (...)
« Faire long feu. Expression remplacée aujourd’hui par : révéler sur Canal+ les malversations de Vincent Bolloré ». Une des phrases qui n’ont pas plu dans « Le fin mot de l'Histoire en 200 expressions » de @GMeurice et Nathalie Gendrot, livre qui ne paraîtra donc pas chez Editis pic.twitter.com/OVj1YPyJFy
— Ariane Chemin (@ArianeChemin) September 13, 2022
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La directrice générale de la maison d’édition réagit, pour la première fois, aux inquiétudes que suscite l’OPA lancée par Vivendi, sa maison mère, sur Lagardère, propriétaire d’Hachette.
(...) Elle répond aux critiques sur la fusion entre Hachette et Editis en assurant qu’il y a beaucoup de « fantasmes » alors que rien n’est encore fait. Selon elle, Vivendi a investi 50 millions d’euros dans Editis en trois ans et lui a laissé les mains libres pour développer le groupe. (...)
Il y a des gens qui crient avant d’avoir mal. En 2003, des choses épouvantables étaient attendues. Et maintenant, on se félicite de ce qui est arrivé. En tout cas, la Commission européenne appliquera les règles de concurrence. Il faut se calmer. Depuis des mois, on est dans la politique-fiction, le fantasme, ce qui devient assez pénible pour les équipes, les auteurs… J’ai même lu qu’on voulait faire du révisionnisme dans les manuels scolaires, alors ça part loin… Pour l’instant, rien n’a été fait. On remplit des questionnaires nombreux et extrêmement détaillés sur les parts de marché pertinents par segments, catégorie éditoriale, distribution, diffusion… (...)
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Editis et Éric Zemmour
C’est le cas d’Aurélie Filippetti, également autrice, pour qui le magnat “défend un projet idéologique d’extrême droite”. “Ce qui se passe avec Hachette Livre est une catastrophe qui va conduire à l’effondrement du plus grand groupe d’édition français au monde”, commente l’ex-députée socialiste, interrogée par l’AFP.
Elle plaide pour la liberté des maisons d’édition. (...)
“Il y a des choses que l’on ne peut pas ignorer. Quand Albin Michel a décidé de ne plus éditer Éric Zemmour, il a été accueilli par Editis, a rappelé l’ancienne ministre d’Emmanuel Macron. C’est aussi comme ça que l’on peut diffuser de façon massive, et soutenir un courant d’idées unique, qui est celui que nous connaissons.” Même si Vincent Bolloré assure ne poursuivre aucun but politique ou idéologique, son ombre plane plus que jamais.