Plusieurs témoignages rapportent des utilisations de glyphosate dans les forêts en France. L’affaire choque promeneurs et écolos. Les données manquent. Ce qui est en sûr, c’est que la forêt est gérée de manière de plus en plus industrielle.
C’était au printemps dernier, dans la forêt de Saint-Gobain, dans l’Aisne. Un tracteur suivi d’un nuage blanc : « La forêt a été traitée au glyphosate afin d’éradiquer les ronces, l’ONF nous l’a confirmé », assure William Church. A 60 ans, né dans le coin, il a toujours arpenté la forêt, a d’abord voulu l’observer, la faire connaître. Il est désormais président de l’association Une Forêt et des hommes. Via le conseil municipal et les associations locales, l’information est vite passée, les témoignages ont été recoupés : « On est certains qu’au moins une parcelle a été traitée, et on le suppose pour deux autres. Cela ferait environ 60 hectares en tout », poursuit-il.
Dans un espace que le grand public voit comme naturel ou préservé, l’affaire choque. « L’herbicide tue les ronces mais aussi les orchidées et toutes les plantes touchées. La forêt de Saint-Gobain est classée Natura 2000, insiste le militant. Elle est traversée de petits rus, les produits épandus vont dans l’eau. En plus, ils ont fait cela en pleine période ou les biches sont pleines, et au moment où les œufs de certains batraciens éclosent. Sans compter que les gens s’y baladent, y ramassent par exemple des champignons, et ils ne sont pas prévenus ! »
Même indignation à l’autre bout de la France, dans le sud-ouest. Jean-Pierre Duluc, apiculteur semi-professionnel à Saint-Symphorien (Gironde) était en train de s’occuper de ses ruches, début octobre, « quand j’ai vu passer le tracteur avec l’appareil entre les allées de pins », raconte-t-il. Il a même pu connaître le nom du produit utilisé : du Barbarian, dont le composant actif est le glyphosate. Les bruyères callunes étaient en fleurs, le moment idéal pour produire du miel. « les champs de fleurs diminuent à cause des épandages, la lande change. Ceux qui font cela n’aiment pas la forêt », regrette-t-il. (...)
Graminées, joncs, genêts, fougères, ronces, clématite, feuillus : l’avantage du glyphosate est qu’il est efficace sur des types de plantes très variées. En vigueur depuis le 1er janvier 2017, la Loi Labbé, qui interdit l’usage des produits phytosanitaires dans les espaces publics, s’applique aussi aux forêts. « Le texte concerne les parties ouvertes au public, ce qui laisse une imprécision sur certaines parcelles », explique la scientifique.
Tant l’ONF (Office national des forêts), qui gère la plus grande partie de la forêt de Saint-Gobain (elle fait en tout 13.000 hectares), que les propriétaires privés majoritaires dans la forêt des Landes (1 million d’hectares), sont donc dans le chemin légal quand ils traitent certaines parcelles. (...)
Après un rapide sondage chez les collègues syndicalistes dans toute la France, Cyril Gilet, agent ONF syndiqué à Solidaires, et membre de SOS forêts Bourgogne, rapporte à Reporterre la même conclusion : « Cela ne peut remplacer une étude poussée, mais il semble que le glyphosate a été en partie abandonné. Il y a 15 ans il était utilisé assez fréquemment, mais à ce jour il semble surtout utilisé dans le but d’éliminer des plantes invasives. »
Du côté du Syndicat des sylviculteurs du sud-ouest, qui regroupe une bonne partie des propriétaires privés de forêt dans les Landes, la question est presque évacuée. (...)
Un sentiment qui n’est pas du tout partagé par les deux associations de terrain. Dans l’Aisne, William Church entend parler d’usage du glyphosate quasiment pour la première fois et craint son développement. En Gascogne, M. Barbedienne estime que « l’utilisation d’herbicides est récente, encore assez peu importante, mais se répand dans l’ensemble du massif forestier des Landes de Gascogne. »
Une "industrialisation" de la forêt
Difficile de trancher entre ces deux perceptions, alors qu’il n’y a pas de statistiques disponibles concernant le nombre d’hectares traités aux herbicides chaque année. Surtout, le glyphosate ne serait dans ce débat que l’arbre qui cache une forêt d’autres problèmes.
Les défenseurs de l’environnement dénoncent une « industrialisation » de l’exploitation de la forêt. Dans les Landes, Philippe Barbedienne observe le développement d’une « sylviculture intensive », en particulier depuis 1999. (...)
« Il y a des endroits où les peuplements d’arbres dépérissent, des problèmes climatiques font que moins de graines sont produites, ou il y a trop de gibier par rapport à ce que peut accueillir la forêt... » (...)