Depuis que je m’assagis, j’ai pas mal de nouveaux amis. Tant mieux. Mais je ne veux pas les décevoir : car si j’ai changé, c’est vrai, dans mon expression, je varie peu dans mes convictions. Il s’agit, surtout, de ne pas tromper les Français sur le chemin, la ligne de crête, que je m’efforce de tracer, pour la gauche, pour notre pays.
« On ne sort, paraît-il, d’après le cardinal de Retz, de l’ambiguïté qu’à son propre détriment. »
Je ne suis pas sûr.
Un peu de clarté ne nuit pas toujours.
Depuis que je m’assagis, depuis que L’Obs et Libé font leurUne sur ma pomme, j’ai pas mal de nouveaux amis. De la « deuxième gauche », on dira. Des anciens sympathisants socialistes, voire des ex-ministres, tant mieux, je prends. J’entends monter la petite musique du « gentil Ruffin » contre le « méchant Mélenchon », chez des éditorialistes qui n’étaient pas acquis. Ces sympathies, il ne s’agit pas de les rejeter : avoir plein de copains, c’est bien. Mais je ne veux pas les décevoir, qu’ils se trompent de canasson : car si j’ai changé, c’est vrai, dans mon expression, je varie peu dans mes convictions. Il s’agit, surtout, de ne pas tromper les Français sur le chemin, la ligne de crête, que je m’efforce de tracer, pour la gauche, pour notre pays. (...)
Je me souviens d’un tract, sur Whirlpool, que je distribuais à Amiens lors d’une « réderie », les vide-greniers de chez nous : « T’inquiète pas mon gars, m’avait répondu un mec popu, Jean-Marie va nous régler tout ça ! » Le 21 avril 2002 ne m’a pas surpris. Depuis ma Picardie, je l’avais un peu senti.
A-t-il au moins servi d’électrochoc ? Non, aucunement. Dans l’entre-deux tours, des manifs allaient clamant « F comme fasciste, N comme nazi », et je participais sans ardeur à ce rite expiatoire. Mais la gauche, c’est-à-dire à l’époque son cœur -le Parti socialiste -, revisitait-elle ses erreurs ? Révisait-elle son cap ? Non. Il fallait, au contraire, se montrer toujours plus « moderne », nier les délocalisations, ou les minimiser, oublier les travailleurs, n’évoquer au mieux que les « pauvres », les « exclus », reprendre les refrains de la droite, flexibilité compétitivité, les aménager d’une pincée de social, voire d’ « Europe sociale », se débarrasser des « archaïsmes du marxisme ». Contre cette pente, je publiais un réquisitoire « La Guerre des classes ».
Le Traité constitutionnel européen fut, pour moi, en 2005, une grande campagne, un moment de vérité (...)
Malgré ce vote clair, un an plus tard, au Congrès de Versailles, la majorité des parlementaires socialistes validaient le traité de Lisbonne. Rien ne les ferait dévier.
L’expérience Hollande ne fit qu’enfoncer le clou. La signature du pacte Sarkozy-Merkel à peine passé l’été, le Crédit impôt compétitivité emploi, un cadeau à vingt milliards d’euros sans condition, l’accord national interprofessionnel pour « plus de souplesse » dans l’emploi, le retour du travail le dimanche, la Grèce abandonnée face à Berlin et au FMI, Florange trahi, et chez moi les Goodyear aussi… Durant la « Loi travail », au cours de Nuit debout, je prêtais serment : « Nous ne voterons plus PS. »
Que ce Parti socialiste ait porté, dans ses bagages, puis sur les fonts baptismaux, Emmanuel Macron, c’était logique. C’était dans sa logique de décomposition.
Je ne suis pas là pour refaire le procès : l’histoire a jugé, les urnes aussi. (...)
Et à côté, dans la foulée du 29 mai, une autre gauche est re-née. Jusqu’alors, je votais, pour les cocos ou pour les écolos, pour Besancenot ou pour Bové, j’ai un peu tout fait, mais pour des candidatures rarement remboursées, et qui ne pèseraient guère sur notre destin commun. Ma frustration, mes convictions ont trouvé un débouché : Jean-Luc Mélenchon, que je ne connaissais pas. Je l’ai rencontré au Sénat, comme reporter, quelques jours avant qu’il ne quitte le PS. Nous avons déjeuné ensemble, et au milieu du brouhaha d’une brasserie, je lui ai recommandé L’Illusion économique, d’Emmanuel Todd (sur la nécessité, politique aussi, d’un protectionnisme) et Comment les riches détruisent la planète, d’Hervé Kempf (sur le lien, profond, entre social et écologie). J’ai assisté à la conférence de presse où il a lancé le Parti de Gauche, et j’ai appris. C’était la première fois, en entendant un homme politique, que j’avais le sentiment d’apprendre. Puis, comme compagnon de route, jamais encarté, avec toujours ma liberté, j’ai accompagné le Front de gauche, participant à toutes les universités d’été, offrant des arguments, sur le partage de la valeur ajoutée, sur le retour de l’industrie, mes intuitions sur un monde du travail blessé, délaissé. J’ai suivi ses trois campagnes, 2012, 2017, 2022, où avec son immense talent, « L’Insoumis » a sorti la gauche de l’ornière, a rendu nos idées majoritaires – sinon dans le pays, ça reste à faire, du moins dans notre camp.
Voilà le parcours qui m’a formé, forgé, longtemps solitaire, puis qui s’est trouvé des frères. Voilà ma filiation, qui part de la Grande Révolution de 1789, qui passe par Lamartine et la tragédie de 48, par Vallès et la Commune, par Jaurès bien sûret la naissance du socialisme, par Blum et le Front populaire, le Conseil national de la Résistance, Mai 68, Mai 1981 que je fais mien, jusqu’à la coupure de 1983, « nous ouvrons une parenthèse » comme l’énonce alors Lionel Jospin, et le fil qui se renoue avec Jean-Luc : lui avec d’autres, mais plus haut que d’autres, a porté le flambeau qu’il nous passe aujourd’hui,« Faites mieux », jusqu’à réunir toute la famille, toutes les familles, communistes, écologistes, socialistes, derrière une même bannière. (...)
Pourquoi revenir sur ce passé ? Parce que nous en héritons, parce qu’il n’y a pas de table rase. Parce que je préfère avancer avec clarté, sans ambiguïté. Parce que, aux hommes et aux femmes de bonne volonté qui, ces temps-ci, me trouvent quelques charmes, je veux le dire : il ne s’agit pas seulement, aujourd’hui, de rompre avec Emmanuel Macron, ce serait facile tant il est détesté. Pas même, uniquement, avec le mandat Hollande, déjà aux oubliettes. Mais notre devoir, c’est bel et bien de « fermer la parenthèse » ouverte il y a quarante années, d’en finir avec des dogmes usés.
C’est une nécessité.
C’est une nécessité pour reconquérir une confiance populaire.
C’est une nécessité pour remettre sur pied notre pays.
C’est une nécessité pour la planète.
Car que produit la concurrence partout, la concurrence surl’énergie, les transports, l’agriculture, la concurrence entre les travailleurs, les territoires, les agricultures, la concurrence jusqu’à la lie et la folie ? (...)
Voilà sur le fond, et c’est, en gros, dans la continuité des positions de Jean-Luc Mélenchon.
Maintenant, il y a le ton.
A sa naissance, sortant du ventre de sa mère, un bébé pleure et crie : c’est signe de vitalité. Ce moment, nous l’avons franchi : à dix-sept députés insoumis, avec bruits et humeurs, nous avons existé.
Depuis, des choses se sont modifiées. (...)
Jupiter, on a déjà donné.
Il n’y aura pas de Messie, pas de super-héros qui viendra, avec ses petits bras musclés et son magnifique cerveau, qui viendra relever la France. Il y faut une équipe, des forces organisées, et au-delà les milliers, les millions de bonnes volontés. Mais enfin, à ma place, voilà donc le chemin que je nous propose de tracer, sur le fond et dans le ton.
Est-ce le bon ?
Peut-on ainsi l’emporter, gagner une majorité de Français ?
Parviendra-t-on au bout de ce marathon ?
Y sont les bienvenus, en tout cas, tous les compagnons, la gauche dans toutes ses traditions.