
L’Autorité de sûreté nucléaire a lancé une plateforme en ligne à destination des travailleurs de la filière, mais aussi d’associations ou de simples citoyens, en possession d’informations importantes sur d’éventuels dysfonctionnements d’installations. Les signalements sont anonymisés, pour éviter les représailles, ce qui constitue une avancée par rapport à la loi Sapin 2. Cette évolution est saluée par plusieurs associations, qui affichent néanmoins quelques craintes.
Éviter que la poussière ne soit mise sous le tapis. Et qu’elle ne pique les yeux une fois retrouvée, comme lors de la révélation des nombreuses malfaçons de pièces fabriquées à la forge du Creusot. L’Autorité de sureté nucléaire (ASN) a lancé une plateforme pour les lanceurs d’alerte qui travaillent dans la filière nucléaire, à tout niveau, depuis le plus petit sous-traitant, comme pour les associations et les simples citoyens. L’idée est de “permettre à des gens qui ont un signalement à donner sur une installation ou une activité de le faire”, explique l’inspecteur en chef de l’ASN Christophe Quintin. Si le gendarme du nucléaire souhaite éviter les signalements anonymes, pour pouvoir contacter les personnes et obtenir davantage d’informations, rien n’oblige à laisser son identité réelle. Les messages sont chiffrés pour garantir l’anonymat. Aux États-Unis, où le modèle existe depuis des années, environ 1 000 signalements sont reçus chaque année, note Christophe Quintin, pour un parc de 99 réacteurs (la France en compte 59). Se pose ensuite la question du traitement et de la hiérarchisation des signalements. “Il y a une commission interne, composée de membres permanents et de membres associés, qui statue pour définir les suites à donner, répond l’inspecteur en chef de l’ASN. Cela peut aller jusqu’à l’inspection sur place.”
Évidemment, l’ASN recevait déjà des signalements, “des gens qui font un métier nécessitant une qualification particulière, un soudeur ou contrôle fabrication qui ne l’a pas, et nous racontent ce qu’ils ont dû faire”, explique Christophe Quintin. Mais l’Autorité n’avait pas d’approche cohérente au niveau national. “Désormais, nous avons ce point d’entrée unique qui nous permettra d’avoir une réaction plus professionnelle et de traiter beaucoup plus de cas”, estime son inspecteur en chef. Les associations accueillent plutôt favorablement l’initiative. (...)
Limites
Pour le syndicaliste Gilles Reynaud, travailleur du nucléaire depuis trente-deux ans et fondateur de l’association “Ma zone contrôlée”, les cas d’alerte pris en compte par la plateforme sont trop restrictifs. “Dans la présentation qui nous en a été faite, cela ne semblait concerner que la falsification de documents, en réaction à ce qu’il s’est passé au Creusot, pas les atteintes à la sûreté, la sécurité, l’environnement ou la santé des travailleurs, déplore-t-il. J’ai crée l’association Ma zone contrôlée il y a dix ans parce qu’on avait consigne de ne pas parler des problèmes sur le site de Tricastin. Il y a une attente réelle, mais il ne faut pas se limiter à des falsifications.” Greenpeace reconnaît aussi que, “sur le principe en soi, il est bon que les autorités de régulation se dotent de plateforme pour recevoir des alertes, de toute façon elles le doivent”, mais l’ONG alerte sur d’éventuels conflits d’intérêts (...)
cette plateforme peut-elle réellement accompagner la filière nucléaire vers plus de rigueur sur le plan de la sûreté, de la sécurité, de l’environnement et des ressources humaines ? Les associations attendent de juger sur pièces. D’autant que ce traitement en interne pourrait aussi conduire à poser une chape de plomb sur les problèmes de la filière. “Il faudrait que quand il y a un problème cela puisse ressortir à la connaissance du public, pas juste voir en interne et traiter avec les exploitants”, insiste-t-on dans le réseau Sortir du nucléaire. Car, porter ces informations à la connaissance du public, c’est ce qui permet de faire bouger la filière. Comme au Creusot.