Une mesurette par-ci, deux mots changés par-là : c’est par petites touches que les normes qui protègent l’environnement sont amendées et affaiblies. Pour le gouvernement, il s’agit d’une « simplification » nécessaire. Les associations dénoncent, elles, une « régression ».
(...) « La France a été très en avance dans les années 1970, avec des textes fondateurs, puis il y a eu un mouvement important dans les années 1990. Mais depuis, mis à part la Charte de l’environnement en 2005, on déconstruit plutôt le droit de l’environnement », dit à Reporterre Corinne Lepage, ex-ministre de l’Environnement et avocate reconnue dans le domaine.
Le principe de « non-régression » du droit de l’environnement, intégré dans la loi Biodiversité de 2016, marque une volonté de préserver cette construction normative. Mais, dans les textes, les défenseurs de l’environnement observent une autre tendance. « Une série de petites mesures vient détricoter tout cela, observe Sophie Bardet-Auville, responsable du réseau juridique chez France nature environnement (principal réseau d’associations environnementales en France). C’est comme si cette législation n’existait que pour embêter les acteurs économiques, alors qu’elle n’est pas là pour les beaux yeux des associations environnementales, elle a des finalités ! » (...)
Un domaine où cette « régression » est facilement observable est celui des ICPE — comprenez les Installations classées pour la protection de l’environnement. Il s’agit de « toute exploitation industrielle ou agricole susceptible de créer des risques ou de provoquer des pollutions ou nuisances, notamment pour la sécurité et la santé des riverains est une installation classée », selon l’administration.
« Pressing, station essence, hypermarché, notre quotidien est environné d’installations classées, indique Gabriel Ullmann, juriste auteur d’une thèse sur le sujet. Cela va jusqu’au site industriel à risque classé Seveso. » Les ICPE étaient au départ soumises à deux « régimes » : déclaration ou autorisation. (...)
depuis 2010, beaucoup d’usines ou d’élevages n’ont désormais plus besoin de passer par la lourde procédure de l’autorisation, cela grâce à un tour de passe-passe : la création du régime de l’enregistrement. Il reste plus contraignant que la déclaration, mais est simplifié par rapport à l’autorisation. Il ne prévoit pas d’étude des impacts sur l’environnement ou d’enquête publique. Le dossier est examiné par un fonctionnaire, qui peut éventuellement décider — en fonction du projet — de le « basculer » en procédure d’autorisation si cela lui paraît opportun. « Mais dans les faits, moins de 1 % des dossiers soumis à enregistrement sont basculés vers l’autorisation », estime Sophie Bardet-Auville. Le ministère de la Transition écologique a effectivement indiqué à Reporterre que seuls quatre dossiers ont été « basculés » du simple enregistrement vers la plus contraignante autorisation en 2017.
« Quand l’enregistrement a été créé, on nous disait de ne pas s’inquiéter, que cela ne concernerait que les 10 % des installations les plus simples, les plus connues, les plus communes, que les autres resteraient soumises à autorisation, se rappelle Gabriel Ullmann. Mais la proportion des enregistrements n’a fait qu’augmenter. » (...)
. En huit ans, donc, 17.000 installations seraient sorties du régime de l’autorisation, et donc n’ont plus besoin de passer par une enquête publique et une étude d’impact. (...) Par exemple, en janvier 2010, tout élevage de plus de 100 vaches laitières devait demander une autorisation. Le seuil se place désormais au-delà de 400 vaches. Les élevages de 151 à 400 vaches laitières sont, eux, soumis à enregistrement. Pour les porcs, les élevages de plus de 450 animaux étaient en 2010 soumis à autorisation, désormais un enregistrement suffit. (...)
Autre exemple récent dans le domaine industriel : un décret de juin 2018 a modifié plusieurs rubriques pour les installations traitant des déchets. Pour le gouvernement, il s’agit d’une « simplification et clarification de la nomenclature ». Ainsi, les lieux de stockage et tri des déchets électroniques ne seront plus soumis à autorisation (c’était le cas pour les sites les plus importants), mais simplement à enregistrement. Pourtant, « on trouve parmi les composants de ces déchets des métaux lourds, toxiques, tels que le mercure, le plomb, le cadmium ou encore le chrome hexavalent. Des risques de pollution grave des milieux (eaux, sols, air) ne sont pas à exclure au sein et à proximité de telles installations. Les travailleurs manipulant les déchets accueillis dans ces installations sont particulièrement exposés à ces risques », conteste FNE dans un recours déposé devant le Conseil d’État. (...)
La loi Élan, adoptée en novembre 2018, « portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique », réduit le délai de recours après achèvement d’une construction. Les associations n’auront plus que six mois au lieu d’un an auparavant pour, par exemple, contester une construction illégale ou qu’elles considèrent comme dangereuse pour l’environnement. Mais les associations tentent en général d’agir avant la construction. Pour pouvoir contester, il faut désormais qu’elles soient constituées avant même que le permis de construire ne soit déposé. Or, certaines associations se constituent justement quand les riverains apprennent qu’un projet — de grosse ferme, de barrage, d’autoroute, etc. — arrive à côté de chez eux (...)
La loi Élan, adoptée en novembre 2018, « portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique », réduit le délai de recours après achèvement d’une construction. Les associations n’auront plus que six mois au lieu d’un an auparavant pour, par exemple, contester une construction illégale ou qu’elles considèrent comme dangereuse pour l’environnement. Mais les associations tentent en général d’agir avant la construction. Pour pouvoir contester, il faut désormais qu’elles soient constituées avant même que le permis de construire ne soit déposé. Or, certaines associations se constituent justement quand les riverains apprennent qu’un projet — de grosse ferme, de barrage, d’autoroute, etc. — arrive à côté de chez eux (...)