
Les grandes puissances ont accumulé des armes nucléaires ou des navires à réacteur atomique. Or, explique l’auteur de cette tribune, traiter ce matériel radioactif est un vrai casse-tête, dont personne à ce jour n’a la solution.
Libérer le monde des armes nucléaires est un objectif ambitieux, mais possible à moyen terme. Libérer l’humanité des conséquences à long terme de quelques décennies de « croyance » dans la dissuasion nucléaire sera une mission autrement plus longue et difficile : il faudra plusieurs générations, relever des défis technologiques et environnementaux qui pour l’heure nous dépassent, et supporter quelques catastrophes dont certaines sont déjà en cours.
Le démantèlement des armes elles-mêmes, des ogives, n’est ni une opération complexe ni un processus coûteux. En France, selon le ministère de la Défense, le coût total de la dénucléarisation du plateau d’Albion et de ses 18 silos a avoisiné les 75 millions d’euros. Un détail au regard des 23,3 milliards d’euros alloués à la dissuasion nucléaire française par la loi de programmation militaire 2014-2019 (plus de 10% du budget de la Défense). La conclusion s’impose d’elle-même, pour toutes les puissances nucléaires : non seulement le coût n’est pas un obstacle au démantèlement, mais les coûts exorbitants associés au maintien et à la modernisation de la dissuasion nucléaire plaident de plus en plus en faveur de ce démantèlement.
Reste le casse-tête sécuritaire du stockage des matières fissiles (...)
Aucun pays n’a de solution satisfaisante
Parmi les conséquences à long terme du dogme nucléaire, il y a également le démantèlement des bâtiments à propulsion nucléaire, et en particulier des sous-marins. Toutes les puissances nucléaires sont aujourd’hui confrontées à ce défi titanesque, à jamais marqué par l’écocide qui se poursuit toujours au nord de la Russie. Entre 1965 et 1988, l’Union soviétique a coulé en mer de Kara et dans les fjords peu profonds de la Nouvelle-Zemble quelque 17.000 conteneurs de déchets radioactifs, des dizaines de navires et réacteurs nucléaires contenant du combustible usé, et même le sous-marin nucléaire K-27, sabordé dans la baie de Stepovogo avec ses deux réacteurs chargés de combustible nucléaire. (...)
C’est le côté terrifiant de l’épopée de la dissuasion nucléaire, qui ne dissuade que le bon sens... Nous n’avons aucune solution satisfaisante à long terme. Nous rejetons sur les générations suivantes la responsabilité de gérer les conséquences d’un recours à une technologie que nous ne maitrisons pas. Et pourtant, partout dans le monde sont construits de nouveaux bâtiments militaires à propulsion nucléaire.
Pendant les dizaines d’années qui nous séparent du démantèlement de niveau 3 — qui n’est lui-même qu’une étape, pas une fin —, nous ne pouvons rien faire de mieux que d’inspecter, mesurer, contrôler, espérer l’absence de fuite, espérer que les lieux d’entreposage soient épargnés par les catastrophes naturelles et les guerres.
Quel qu’en soit le prix, nous n’avons pourtant d’autre choix que d’accepter ces risques, qui sont une étape incontournable du désarmement nucléaire global. C’est notre responsabilité envers les générations futures que de prendre notre part de ce fardeau terrible que nous leur laisserons, quoi qu’on fasse.