
Le réchauffement des sols gelés engendre des conséquences dramatiques : réveil de virus endormis depuis des milliers d’années et éboulements en cascade. Explications.
Il s’agit, sans nul doute, de l’une des plus grandes énigmes du réchauffement climatique. Quelles seront les conséquences du dégel du pergélisol (permafrost en anglais) ? « Les scénarios du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne prennent pas en compte l’évolution du pergélisol, note Florent Dominé, chercheur au laboratoire franco-canadien Takuvik et membre d’APT (Acceleration of Permafrost Thaw by Snow-Vegetation Interaction) – un vaste projet de recherche sur le sujet. Et pourtant, ces terres jouent un rôle primordial. »
Par définition, le pergélisol désigne les sols gelés en permanence. « Loin d’être anecdotique, le permafrost représente 25% des terres émergées dans l’hémisphère nord, soit l’équivalent de la superficie du Canada », poursuit Florent Dominé. Evidemment, ces zones se trouvent principalement dans les régions arctiques (Canada et Sibérie), mais elles existent également en Suisse. « Environ 3 à 4% de notre territoire est constitué de permafrost », souligne Christophe Lambiel, chercheur à la Faculté des géosciences de l’environnement de l’Université de Lausanne (UNIL). (...)
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« En raison des ressources naturelles (pétrole, gaz, or, minerais) qu’il abrite, le Grand-Nord suscite de nombreuses convoitises, souligne Chantal Abergel, directrice de recherche CNRS au sein de l’Institut de microbiologie de la Méditerranée et coauteur de l’étude. Mais en creusant, les entreprises vont remonter le temps et réactiver des virus éradiqués de la surface de la Terre depuis des milliers d’années. Il faut bien réfléchir aux conditions dans lesquelles les ouvriers vont travailler et faire preuve d’une grande vigilance. Parce que personne ne sait ce que nous allons trouver. Il peut s’agir de pathogènes potentiellement mortels. » (...)
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Péril climatique
« Dans le pergélisol sont congelés des animaux et des végétaux morts depuis 5000 à 15 000 ans, rappelle Florent Dominé. Se faisant, ces sols constituent un stock de carbone primordial. Certaines études estiment que les sols gelés de l’Arctique contiennent 1 700 milliards de tonnes de carbone, ce qui en fait la plus grande réserve de la Terre. Cela dépasse ce qui est contenu dans les stocks cumulés de charbon, de pétrole et de gaz naturel qui demeurent dans le sous-sol. » En dégelant, le permafrost libère dans l’atmosphère tout ce carbone, sous forme de dioxyde carbone (CO2) et de méthane (CH4) – des gaz qui participent au réchauffement climatique. « Personne ne sait exactement quelle quantité de carbone risque d’être rejetée dans l’atmosphère par la fonte du pergélisol, poursuit Florent Dominé. (...)
Nous vivons une crise géomorphologique majeure que nous n’avions jamais connue auparavant. » Et celle-ci n’est pas sans conséquence. (...)
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En Sibérie, d’étranges cratères de plus de 70 mètres de profondeur apparaissent dans le sol, avalant parfois avec eux des habitations. Une étude, publiée en 2014 dans la revue Nature, montre que s’échappent de ces gouffres d’importantes quantités de méthane, dont le carbone se révèle vieux de plusieurs milliers d’années. « Si la totalité du carbone emprisonné dans le pergélisol venait à être relâchée, cela pourrait avoir des conséquences dramatiques, explique Florent Dominé. Malheureusement, le GIEC ne prend pas en compte cette donnée dans ses prévisions. Le problème, c’est que le GIEC est un mélange de politique et de science. Seuls les éléments consensuels sont pris en compte et le pergélisol n’en fait pas partie. »
Néanmoins dans la balance climatique, le dégel du permafrost n’engendre pas que des effets négatifs. « Nous observons dans certaines régions de l’Arctique le développement d’une végétation qui n’existait pas auparavant, poursuit Florent Dominé. Or les arbres constituent un piège à carbone. La question est donc de savoir si l’apparition d’arbres compense la libération du carbone piégé depuis des millénaires. »