Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Slate.fr
Le complotisme est plus fort que tout
Laurent Sagalovitsch romancier
Article mis en ligne le 21 janvier 2019
dernière modification le 18 janvier 2019

Le discours complotiste ne peut être battu. C’est la force du mensonge érigé comme vérité absolue : il n’a presque aucune chance d’être déconstruit.

C’est tout à la fois une maladie mentale, une perversion de l’esprit, une vision du monde poussive et rabougrie, un engrenage infernal où des âmes en manque de repères, d’assise intellectuelle et de rectitude morale se perdent dans la grande nuit noire de l’obscurantisme, sous couvert de théories foireuses qui ont pour nom complotisme, révisionnisme, idolâtrie de fausses nouvelles –et qui sont l’arrière-boutique des mouvements nationalistes et autres groupuscules identitaires. (...)

Il n’y a rien à opposer au complotisme. Quelles que soient la pertinence de votre démonstration, l’excellence de votre raisonnement, la pureté de votre pensée, elles ne pèseront rien face à l’ignorance, à la mauvaise foi, à la stupidité féroce et fanfaronne des gens convaincus d’avoir raison contre tout le monde. Que dire à un énergumène persuadé que deux plus deux font cinq ? Que peut-on rétorquer à quelqu’un qui part du principe que toute vérité communément admise est un mensonge, un leurre servant à asseoir la domination des puissants au détriment de la masse ? Que dire à cette personne convaincue que le monde entier est une tromperie, une supercherie de grande ampleur orchestrée par une poignée d’individus dont nul ne connaît l’identité et qui agissent dans l’ombre, guidés par leur seul intérêt, en contradiction complète avec le bien général ? À part une paire de baffes pour la ramener à la raison, il n’y a rien d’autre à lui opposer. (...)

Les complotistes sont des paranoïaques appliquant leur rhétorique conspirationniste à tous les domaines de la vie. Puisque rien ne peut être certain, puisque tout peut et doit être remis en question, avec des airs intrigants et la conviction de leur propre supériorité intellectuelle, les voilà en croisade contre la vérité en général. Et plus cette vérité est évidente, plus elle est partagée par le plus grand nombre, et plus les complotistes s’évertueront à démontrer, par tout un échafaud d’hypothèses aussi farfelues que saugrenues, la parfaite incongruité de l’explication communément admise.

Ce n’est pas Don Quichotte. Don Quichotte refuse le monde réel pour mieux asseoir le domaine de l’amour et de la justice. Rien de tout cela chez les complotistes du dimanche. Aucune élévation de l’esprit ou de la condition humaine, juste le goût avéré pour tout ce qui salit, profane, heurte, provoque, dégrade la sensibilité collective. (...)

Et comme précisément, on ne peut les prendre à revers, leur mode de pensée se situant dans une sphère où le discours de la raison est par essence disqualifié, leur triomphe est total. Les débiles complotistes gagnent toujours. Toujours. On ne peut les battre. C’est la force du mensonge érigé comme vérité absolue : il n’a presque aucune chance d’être déconstruit. Le vide de la pensée complotiste lui permet d’échapper à sa remise en cause. (...)

Avec les réseaux sociaux, le complotisme a de beaux jours devant lui. Il peut désormais s’adresser au plus grand nombre, et quand on saura dans quel bain d’ignorance barbotent parfois les masses indifférentes, on est en droit de s’inquiéter. (...)

Nous reculons et, dans ce grand basculement en arrière, nous ressentons comme le début d’une impuissance, d’un renoncement capable d’accélérer encore plus le mouvement de la chute.

Nous voilà prévenus.