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Le comique de gauche et le croquemitaine de l’édition française
Thierry Discepolo Auteur de La Trahison des éditeurs [2011], Agone, 2017 — troisième édition à paraître en février 2023.
Article mis en ligne le 22 septembre 2022
dernière modification le 21 septembre 2022

Arrêtons de voir tout en noir. Soyons positifs ! Les mésaventures de Guillaume Meurice n’ont que des avantages. Pour lui, bien sûr – mais on s’en fiche un peu. Surtout parce qu’elles illustrent avec brio le rôle des auteurs (de gauche) dans l’amélioration des capacités de nuisances des grands groupes éditoriaux. Mais d’abord parce ce que l’édition semble être enfin traitée en média, et donc, à ce titre, mise en danger par la concentration des groupes multi-médias.

Ça s’est passé le 15 septembre, sur le plateau de « Quotidien », où le sémillant présentateur réclamait à la ministre de la Culture un commentaire sur le traitement de Meurice par le patron d’Editis, groupe propriétaire de la marque qui refuse in extremis d’éditer son dernier livre.

Des esprits chagrins ont reproché à l’invitée de TMC sa réponse, qualifiée de « langue de bois ». Pourtant, Rima Abdul-Malak n’a fait que rappeler une réalité : Bolloré décide de tout qui se fait chez lui. On ne va tout de même pas reprocher à une ministre du gouvernement d’Emmanuel Macron (ni d’aucun autre, d’ailleurs) de ne pas remettre en cause la propriété privée ! (Imaginez qu’en rentrant dans votre villa vous tombiez sur la crotte que le chien de votre gardien a posé sur la pelouse de votre piscine. Que faites-vous ? Vous exigez aussitôt la même chose que Bolloré a demandé à ses employés de faire avec le livre de Meurice.)

Face à l’affolement du fringant animateur de « Quotidien », effrayé à l’idée que Rima Abdul Malak abandonne Meurice à son sort – et prive du même coût des milliers de lecteurs de son dernier livre –, la ministre a rassuré tout le monde en rappelant une autre réalité : le comique de France Inter n’a déjà que l’embarras du choix pour diffuser sa pensée.

Que diable, on vit dans le monde libre, où règne un marché libre et une concurrence libre et non faussée !

On doit donc d’autant plus se demander pourquoi ⁦⁦ Meurice a confié ses blagues à une marque d’Editis, dont le patron est moins connu pour son humour que pour sa vigueur dans la revivification de notre passé colonial et son habileté à danser avec l’Autorité des marchés financiers en slalomant entre les paradis fiscaux.

Puis on peut s’étonner que #MeuriceRecrute sur France Inter un gouvernement de gauche alors que ⁦⁦ Guillaume signe son livre sous la marque d’un groupe éditorial dont le patron promeut sans complexe ses idées d’extrême droite : fait-il sciemment passer l’anticapitalisme pour une blague comme une autre ?

De l’impitoyable entretien auquel Charlie Hebdo a soumis un Meurice maltraité par les employés de Bolloré, on peut dire ce qu’on veut, mais le comique sur la sellette ne manque pas d’un certain culot et d’un sens de la répartie qui honore sa réputation de comique de gauche. (...)

Après tout, Meurice a touché des à-valoir (certainement confortables) pour publier son livre chez Editis-LeRobert. Win-Win. Et celui-ci, promu par la machine commerciale d’un grand groupe – avec, comme il dit, « une belle mise en place chez les libraires, des rencontres prévues dans des festivals », s’annonçait comme un succès. Win-Win. Mais Meurice est censuré : il fait la une ici et là en victime expiatoire de l’emblème de la concentration des médias et en combattant de la sacro-sainte liberté d’expression. Win-Win. Le livre ne paraissant pas, suivant les règles contractuelles, il garde ses à-valoir. Win-Win. Son éditeur ayant rompu le contrat unilatéralement, l’auteur gagnera certainement le procès qu’il va lui intenter. Win-Win. Enfin, même Rima Abdul-Malak le sait : le jour de l’annonce de sa censure par Le Monde, Meurice a « reçu une vingtaine de propositions ». Win-Win.

En fait, Meurice est moins à plaindre qu’à envier – ce qui est une bonne nouvelle, non ?

Une moins bonne nouvelle, c’est qu’en faisant de Vincent Bolloré le symbole de la concentration dans les médias (dont l’édition), en se focalisant sur l’antifascisme, la censure et les coups d’éclats de cette figure outrancière par l’affichage de son idéologie rance et la brutalité de sa gestion, on laisse de côté l’analyse du système de concentration capitalistique dont bénéficient tous les grands groupes d’édition. Dans cette configuration, ils n’ont aucune difficulté à jouer les alliés de circonstance de ##StopBollore en espérant l’emporter sur leurs concurrents dans le partage de ce qui tombera de la table des négociations.

Tournez manège !