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Le chagrin et la colère - Manifestations en Pologne 1/3
Article mis en ligne le 9 mai 2016

En moins de six mois de gouvernement, les ministres du parti Droit et Juste (PiS) ont réussi un exploit. Ils ont mobilisé une grande partie de la société polonaise contre eux. Les mécontentements ont culminé, ce samedi 7 mai, dans une immense marche à travers Varsovie. Ce fut aussi l’occasion de reprendre mon voyage dans la Pologne sous Kaczynski, du côté de ceux qui disent non, et manifestent.

(...) Les nouveaux gouvernants s’isolent chaque jour davantage. Y compris sur le plan international où ils suscitent de la méfiance tant chez leurs alliés traditionnels que dans les agences de notations. En quelques mois le zloty a perdu un cinquième de sa valeur face à l’euro ou au dollar. Les investisseurs s’inquiètent. (...)

Sombres perspectives

C’est dramatique, me disent mes interlocuteurs en cette fin avril. Les atteintes aux règles démocratiques, ces lois votées dans la précipitation, sidèrent. Assomment. La Pologne, si fière de ses vingt cinq dernières années, devient triste et pleure. Beaucoup de Polonais sont abattus, pris par une sorte de chagrin devant tant d’efforts dilapidés. Certes, les dernières années de la Plate forme civique, le parti libéral, qui eut tous les pouvoirs pendant huit ans, ont mal tourné. Les politiciens se sont perdus dans les petites combines et les privilèges. C’était lamentable. Beaucoup ont même voté pour le PiS en espérant plus d’équité sociale, et une bonne morale. Mais là, c’est trop. Toutes mes conversations, à Varsovie ou ailleurs, commencent par un soupir. Ça ne va pas. On est las. Agacé. Ça devient insupportable, me répète-on. Il pleut beaucoup en avril. On m’égraine les noms de gens virés, des incompétents nommés. Ceux qui ont un peu d’humour se consolent avec des anecdotes, d’autres parlent de fascisme, d’exil, de désespoir… Rares sont les optimistes. (...)

Il faut dire qu’en plus des lois liberticides et des épurations administratives, il y a les médias. Entendre chaque jour, à toute heure, le nouveau discours patriotique et clérical, des mensonges grossiers, des insultes, croiser dans la rue ou dans le métro des portraits du Kaczynski défunt à Smolensk, ou des photos de héros passés, ou voir des néonazis parader dans des églises, est plus que révoltant, affligeant. En quelque mois l’atmosphère s’est embrunie. (...)

« Nous sommes devant un changement complet de système politique, avec la remise en cause de l’équilibre des trois pouvoirs – exécutif, législatif et judiciaire. Kaczynski vise la domination absolue du centre politique, c’est-à-dire de son parti dont il contrôle l’appareil. Il met tout en place en ce moment. C’est très dangereux. » (...)

Qualifiée par le président Andrzej Duda de « compromis d’une époque transitoire », l’actuelle constitution, adoptée par référendum en 1997, sera revue. Jaroslaw Kaczynski l’a lui-même annoncé devant la Diète, il y a quelques jours. Un nouveau texte devrait être adopté en 2017, par référendum s’il le faut (il ne dispose pas d’une majorité constitutionnelle). L’opposition refuse d’y travailler, aucune discussion « tant que le PiS ne respectera pas la constitution en vigueur ». (...)

Les histoires de Cour constitutionnelle restent confuses pour le Polonais moyen. Le versement de 500 zlotys mensuel aux familles qui élèvent un deuxième enfant, ou bien les discours de défense de la souveraineté nationale face aux diktats extérieurs, sont plus efficaces. Ils consolident le noyau dur de l’électorat du PiS. « Vous savez, une partie de la société polonaise souhaite un homme fort à la tête de la nation, un homme qui la conduit sans hésitation. »

La division de la société s’aggrave. (...) depuis février cette opposition ne cesse de s’approfondir. Les deux mondes s’éloignent, les rapports se tendent. La colère monte. Tous les indicateurs d’opinions sont au rouge. (...)

Les manifestations du KOD en défense de la Cour constitutionnelle et de la liberté des médias sont régulières et toujours très suivies (A Lodz, Gdańsk, Poznań, Katowice et Białystok, la semaine dernière), et ce weekend la grande marche de Varsovie est, pour la première fois, co-organisée avec les partis d’opposition.

La colère grandie et se politise. Le KOD qui s’est structuré sur l’ensemble du pays multiplie les initiatives locales : actions symboliques, discussions et forum, manifestations. Il s’est doté d’un programme élémentaire, fondé sur une douzaine de principes pour défendre et développer « une société citoyenne ». Il limite ses objectifs à quelques thèmes : éducation en organisant des « universités volantes » de la démocratie dans les quartiers ; surveillance des réactions du pouvoir aux recommandations du Conseil de l’Europe et de l’UE ; défense des personnes persécutées ; participation au processus constitutionnel. Il a d’ailleurs déposé à la Diète une « proposition de loi d’origine citoyenne » sur la Cour constitutionnelle, réunissant 100 000 signatures.

Mais il n’entend pas se transformer en parti ou se substituer à l’opposition parlementaire. Il a d’ailleurs appelé les partis d’opposition – Plateforme civique (PO, libéral), Nowoczesna (libéral), le PSL (agrarien), le SLD (social-démocrate), Inicjatywa Polska (nouvelle gauche), les Verts, et Razem (gauche radicale), a constituer un front uni pour la défense des valeurs européennes et de l’ordre constitutionnel. PO et le parti Razem n’ont pas voulu. L’initiative, baptisée « Równość, Wolność, Demokracja » (Egalité, Liberté, Démocratie), est à l’origine de la manifestation du 7 mai. Le succès du rassemblement auquel les deux partis récalcitrants ont fini par se rallier, est très significatif de cette polarisation. Et si le gouvernement fait comme si de rien n’était, il n’est pas certain qu’il pourra tenir cette morgue longtemps. (...)

D’autant que la contestation ne se limite plus à une opposition gouvernement/société. Elle gagne les institutions publiques, en particulier la justice. (...)

les trois principales cours qui, de par la constitution, garantissent l’indépendance du pouvoir judiciaire et la conformité des lois, se sont prononcées contre les lois du PiS. Dans le même esprit plusieurs conseils municipaux de grandes villes (Varsovie, Lódz, Poznań) ont décidé, mi avril, d’appliquer dans leurs dispositions juridiques, les décisions de la Cour constitutionnelle même lorsqu’elles ne sont pas publiées au Journal Officiel. (...)

Dès lors, cette marche du 7 mai, succès incontestable, pourrait être une étape décisive. On sent bien, malgré les rodomontades et l’insolence de ses portes paroles, que le PiS est fragilisé par ces rebellions. Kaczynski essaie d’éteindre quelques incendies, comme par exemple la proposition de loi interdisant complètement l’IVG soutenue par l’Eglise. Il serait personnellement intervenu auprès de l’épiscopat pour modérer ses ardeurs. Il faut dire que la révolte des femmes n’était pas attendue (j’y reviendrai). De même, le groupe parlementaire du PiS a proposé récemment un « compromis » sur le fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Il y intègre quelques recommandations de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, sans pour autant revenir sur l’essentiel de la loi votée en janvier. Les optimistes diront que Kaczynski commence à céder. Il s’agit plus probablement d’une manœuvre. (...)

Plus sensible qu’il ne paraît aux réactions étrangères Jaroslaw Kaczynski espère beaucoup du sommet de l’OTAN prévu à Varsovie en juin, accompagné d’exercice militaires en Pologne. 31 000 soldats venant de 23 pays (dont 14 000 des Etats-Unis) s’entraineront à répondre à une agression militaire semblable à celle qu’ont livrée les Russes contre l’Ukraine en 2014. Cela devrait conforter la Pologne dans sa position stratégique, rassurer les Polonais face à la menace russe, mais il n’est pas évident que ses alliés seront ravis d’apprendre que la constitution de ce pays n’est pas respectée par son gouvernement.

En face, on s’efforce de maintenir la pression, sans pour autant se satisfaire du succès des manifestations. (...)

A suivre… prochains épisodes : La révolte des femmes. 2/3 ; Faut-il rebaptiser la Pologne ? 3/3