
Peut-on brandir l’urgence d’agir pour le climat et protéger en même temps les énergies fossiles, causes du dérèglement climatique ? Aujourd’hui, les 53 pays signataires du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE), dont l’Union européenne qui a fait de son Green Deal – visant la neutralité carbone en 2050 – la ligne directrice de sa politique des années à venir, permettent aux entreprises du secteur de l’énergie d’attaquer les États quand des lois vont à l’encontre de leurs intérêts économiques.
À l’heure de l’action pour le climat, un processus de modernisation de ce traité a commencé en juillet 2020. Si cela devrait permettre d’intégrer une meilleure prise en compte des enjeux climatiques, la fin de la protection des investissements dans les énergies fossiles n’est pas à l’ordre du jour, ce que déplorent de nombreux spécialistes et responsables politiques.
Créé en 1994, à la suite de l’effondrement du bloc soviétique, et entré en vigueur en 1998, « le but de ce traité était de sécuriser les sources d’énergie qui venaient de l’Est », explique à Equal Times Nicolas Roux, porte-parole à l’ONG Les Amis de la Terre pour les questions de commerce et d’investissements internationaux. (...)
Mais aujoMais aujourd’hui, en sécurisant indistinctement les investissements dans toutes les sources d’énergie, le TCE permet au secteur des énergies fossiles de résister aux États, quand ceux-ci votent des lois destinées à la diminution du recours à ces combustibles, pourtant nécessaire au respect des engagements climatiques issus de l’Accord de Paris.urd’hui, en sécurisant indistinctement les investissements dans toutes les sources d’énergie, le TCE permet au secteur des énergies fossiles de résister aux États, quand ceux-ci votent des lois destinées à la diminution du recours à ces combustibles, pourtant nécessaire au respect des engagements climatiques issus de l’Accord de Paris. (...)
Mais aujourd’hui, en sécurisant indistinctement les investissements dans toutes les sources d’énergie, le TCE permet au secteur des énergies fossiles de résister aux États, quand ceux-ci votent des lois destinées à la diminution du recours à ces combustibles, pourtant nécessaire au respect des engagements climatiques issus de l’Accord de Paris. (...)
Ces dernières années, ce système de règlement de différends entreprises-États, désigné sous l’acronyme anglais ISDS (pour Investor-state dispute settlement), a plusieurs fois été contesté par la société civile, lors des négociations d’accords commerciaux de l’UE, tels que le Traité de libre-échange transatlantique (TTIP). Mais le TCE continue de permettre en toute discrétion aux investisseurs des énergies fossiles d’user de cette arme. Et les entreprises du secteur ne s’en privent pas.
Poursuites en série devant les tribunaux privés
Actuellement, plusieurs États européens sont menacés de poursuites devant des tribunaux privés. (...)
Les ISDS, outils « post-colonialistes » et « antidémocratiques »
Quand ils sont attaqués devant des juridictions privées, les États ont plusieurs solutions : se défendre dans de longues et coûteuses procédures, accepter de céder une somme à l’amiable aux investisseurs à l’origine de la plainte, aller au bout de leurs lois et accepter de payer d’importantes amendes, ou revenir sur leurs décisions politiques. « Le fait que le traité dissuade les États d’adopter de telles politiques [environnementales, ndlr], et qu’il en augmente le coût, n’est pas encore suffisamment reconnu », estime ainsi l’ONG Les Amis de la Terre, dans un rapport sur le TCE. (...)
Pour les opposants au TCE, ces tribunaux arbitraux représentent un véritable outil antidémocratique. En décembre 2019, dans une lettre ouverte aux eurodéputés, à la Commission européenne et aux États membres du traité, les appelant à s’en retirer, 278 syndicats et associations regrettaient ainsi « un système de justice parallèle (…) exclusivement accessible aux investisseurs étrangers ». Plus loin, les auteurs déploraient le caractère « très opaque » des arbitrages, qui « posent de nombreux problèmes de conflits d’intérêts, car les arbitres gagnent beaucoup d’argent avec ces affaires et ont intérêt à soutenir l’explosion du nombre de litiges ». (...)
Record mondial des arbitrages d’investissement
Aujourd’hui, après les 131 affaires engagées sur la base du TCE – un record mondial dans le domaine des ISDS –, le bilan démontre que les prétextes originels de ce mécanisme (protéger les entreprises occidentales dans les anciens pays soviétiques) ont largement été dépassés. Pour exemple : 67 % des cas sont des litiges intra-Union européenne. C’est-à-dire qu’un investisseur d’un pays membre attaque un autre État-membre.
Apparemment conscient de cette dérive, contraire à la notion de confiance mutuelle entre États-membres, le Conseil de l’Union européenne a demandé, dans ses recommandations à la Commission européenne, chargée de représenter l’UE lors des négociations, « qu’un futur tribunal multilatéral des investissements soit applicable » au traité modernisé, en s’inspirant des négociations menées actuellement sous l’égide de l’ONU, réformant les règles internationales de l’arbitrage. Concrètement, l’UE défend la création d’une Cour internationale, avec une clarification des bases de recours, des dispositions s’assurant de la neutralité des juges, de la transparence des procédures et des possibilités de faire appel des décisions.
Selon Mathilde Dupré, co-directrice de l’Institut Veblen, un laboratoire d’idées économique français, malgré cela, « l’UE reste très fermement attachée à ces mécanismes d’arbitrage ». Dans le processus de modernisation du TCE, décidé depuis 2017 par la Conférence de la Charte de l’énergie, afin de répondre aux demandes de pays membres le trouvant obsolète par rapport aux accords d’investissement actuels, « l’Union s’est embarquée dans la renégociation sans demander la fin des ISDS », fait ainsi remarquer l’économiste. (...)
« Ce traité est géré par des bureaucrates, il faut que les ONG trouvent les moyens d’en faire un sujet politique », insiste Yamina Saheb. (...)
, le 7 juillet dernier – le lendemain de l’ouverture des négociations de modernisation – 14 députés européens ont dénoncé dans une tribune dans le journal Libération, un traité « archaïque » et appelé à le rendre compatible avec les enjeux climatiques, ou le quitter si cela n’était pas possible. (...)
Le prochain cycle de négociations aura lieu du 8 au 11 septembre 2020.