
Le projet de loi relatif à la biodiversité arrive au Sénat ce mardi 19 janvier. Les associations demandent la suppression de toute référence aux « réserves d’actifs naturels », ces banques d’un nouveau genre qui font du blé en prétendant préserver la biodiversité. Seront-elles entendues ?
C’est l’un des sujets les plus controversés du projet de loi sur la biodiversité : les Sénateurs vont-ils suivre les associations qui demandent la suppression de toute référence à la notion de « réserves d’actifs naturels » ? FNE, FNH, LPO, Humanité et biodiversité en font la demande dans leur proposition d’amendement n°23. Exigence portée également par le collectif Semons la biodiversité (Confédération paysanne, Attac France, FNAB, Artisans du monde, Amis de la Terre etc) dans la proposition d’amendement n°9. Et c’est la proposition n°1 d’une série d’amendements sur les enjeux de compensation écologique établis par des chercheurs travaillant sur le sujet.
Cette proposition n’est pas nouvelle. Attac France, Bretagne Vivante, NACICCA et d’autres la portaient déjà lors de la présentation de ce projet de loi devant l’Assemblée nationale en mars 2015 (voir ce 4 pages explicatif et cette tribune). Il semble qu’elle soit aujourd’hui encore plus largement soutenue. Les sénateurs écologistes l’ont reprise à leur compte dans la proposition d’amendement n° 429 qui sera débattue au Sénat.
De quoi s’agit-il ?
En instituant des « obligations de compensation écologique » (Section 1A du chapitre II ), le projet de loi offre aux aménageurs et aux industriels la possibilité de « compenser » la biodiversité qu’ils détruisent à un endroit par un bout de nature supposé équivalent à un autre endroit. (...)
Le projet de loi institue des obligations de compensation écologique mais il ne précise pas les conditions d’équivalence entre la biodiversité détruite et celle qui serait à recréer. Par contre, les outils disponibles pour ces actions de compensation sont, eux, désignés. (...)
C’est la grande nouveauté de ce projet de loi : l’aménageur pourra désormais contribuer au financement d’une « réserve d’actifs naturels ». C’est suite à l’intense lobbying mené par la CDC Biodiversité – filiale de droit privé de la CDC en association avec BTP Egis qui est notamment impliquée dans la construction d’autoroutes – que la notion de « réserves d’actifs naturels » a été introduite dans le projet de loi. La CDC Biodiversité expérimente une réserve d’actifs naturels controversée dans le Sud de la France, entre Arles et Marseille.
Les prémices de la financiarisation de la nature ? (...)
A l’Assemblée nationale, l’ancienne ministre de l’écologie, Delphine Batho, avait affirmé craindre « un pas dans la direction de la financiarisation de la biodiversité ». Une critique reprise par Laurence Abeille, députée EELV, considérant que « ce système d’actifs naturels (…) revient à la financiarisation, à la marchandisation des espaces naturels ». (...)
Pire : le projet de loi ne prévoit aucune sanction dans le cas où les opérations de compensation ne seraient pas satisfaisantes. (...)
La compensation mise à l’index !
La position des ONG est d’autant plus compréhensible que la généralisation des banques de biodiversité pourrait encourager les aménageurs à ce tourner vers la compensation plutôt que de tenter d’éviter et réduire les dégradations écologiques. (...)
Sur le terrain, les cas de Notre-Dame des Landes, Sivens, le center Parcs des Chambaran et bien d’autres projets, en France et dans le monde, ont donné l’occasion à des naturalistes et des experts scientifiques de démontrer la faiblesse intrinsèque des mécanismes et projets de compensation, ainsi que leur incapacité à restaurer de la biodiversité et des territoires dégradés (...)
L’équivalence entre des milieux naturels détruits et la reconstruction de milieux artificiels est donc complètement … artificielle. C’est une convention, sans rapport avec la réalité des écosystèmes et des enseignements des écologues. (...)
Le message des scientifiques est clair et indiscutable : la perte de biodiversité doit être enrayée. Il ne faudrait plus détruire les (trop) rares zones humides, des zones qui jouent un rôle clef dans la régulation du cycle de l’eau (purification de l’eau, gestion des trop-plein, etc) tout en assurant un habitat majeur de biodiversité. Plus des deux-tiers des zones humides ont ainsi disparu en France au siècle dernier. Pour assurer l’existence des zones humides restantes sur le territoire, le législateur aurait pu introduire une interdiction pure et simple de toute nouvelle destruction. Ce n’est pas prévu. (...)
Voilà donc clarifié l’un des enjeux majeurs du débat autour du Projet de loi « biodiversité » : il est urgent de supprimer toute référence aux « réserves d’actifs naturels », ces banques d’un nouveau et douteux genre, afin d’ouvrir un débat plus large sur la compensation biodiversité. Avant d’envisager la « reconquête de la biodiversité », titre officiel du projet de loi, peut-être faudrait-il comprendre que la biodiversité ne se compense pas, elle se protège.