
En août 1973 a lieu le premier grand rassemblement sur le Larzac, alors menacé par l’extension d’un camp militaire. Un moment de joie collective, où l’antimilitarisme se conjugue avec les luttes sociales et la défense du monde paysan. Le souvenir de cette lutte fondatrice nourrit aujourd’hui le combat contre les mégabassines.
L’argent« L’argent, l’argent, ils n’ont que ce mot-là à la bouche ! Combien ça vaut une famille du Larzac ? Ou d’ailleurs ? Je voudrais que quelqu’un me le dise. » Petit bout de papier entre les mains, sur lequel elle a soigneusement écrit son discours, Marie-Rose Guiraud est de celles qui ont rarement pris la parole en public dans leur vie. (...)
« Quand à la télévision on a parlé de l’extension du camp, j’étais en train de mettre la table, raconte-t-elle dans le micro, avec l’accent chantant aveyronnais. C’était comme dans un tribunal. J’étais spectateur, je regardais. Et tout d’un coup, je me suis sentie accusée. M. Debré nous a parlé d’hectares, de routes, d’eau, d’aérodromes. Il n’a pas eu de paroles pour les gens, pour les hommes, pour les femmes, pour les vieillards, pour les bergers, pour les enfants. On dirait que pour lui, les personnes, ça ne compte pas. » Un tonitruant « Gardarem lo Larzac » (« Nous garderons le Larzac » en occitan) entonné par la foule conclut son discours.
La marée humaine s’est étalée là après une marche de 4 km depuis le Rajal del Gorp, un site majestueux dominé par des rochers calcaires ruiniformes, dont le nom signifie « source du corbeau » et où, depuis la veille, samedi 25 août 1973, les gens se sont rassemblés en soutien aux « paysans du Larzac ». Des champs ont été transformés en parking, d’autres sont recouverts de tentes canadiennes de toutes les couleurs… Au total, quelque 80 000 personnes ont convergé d’un peu partout en France pour passer le week-end sur ce bout de plateau aride. (...)
Depuis l’automne 1971, quand est annoncée l’extension du camp militaire de La Cavalerie et l’expropriation à venir de 103 familles paysannes, de nombreuses manifestations se sont tenues : d’abord dans la région, à Millau, à Rodez (Aveyron)… En janvier 1973, un convoi de tracteurs monte même jusqu’à Paris. Mais c’est la première fois, l’été de cette année-là, qu’un rassemblement national, avec des convois organisés depuis les quatre coins du pays, se tient sur les lieux même menacés par le pouvoir. Une manifestation qui frappe aujourd’hui par la sérénité de son organisation et de son déroulement, avant-garde des forums altermondialistes qui écloront deux décennies plus tard.
L’affluence dépasse toutes les attentes. Jamais, de mémoire paysanne, on n’avait vu tant de monde dans un endroit si désertique. Un public hétéroclite, intergénérationnel, mélange de milieux ouvriers, paysans, étudiants et intellectuels se retrouve là, dans une atmosphère joyeuse et politique (...)
« Un événement capital se passe dans le pays, entame Bernard Lambert de sa voix d’orateur. Il y a quelque chose qui vient de disparaître de l’Histoire. Jamais plus les paysans ne seront des Versaillais ! Jamais plus ils ne s’opposeront à ceux qui veulent changer cette société ! » (...)
des chansons occitanes, des chansons bretonnes... et un Hymne du Larzac, composé par un militant de Loire-Atlantique : « … Le Larzac restera, / Notre terre servira / À la vie des moutons. / Pas de canon. / Jamais nous ne partirons. / De gré de force, nous garderons le Larzac [...]. » (...)
Sur le causse du Larzac, le 26 août 1973. « Paysans travailleurs. Non à l’armée au service du capital », dit la banderole. (...)
Depuis l’automne 1971, quand est annoncée l’extension du camp militaire de La Cavalerie et l’expropriation à venir de 103 familles paysannes, de nombreuses manifestations se sont tenues : d’abord dans la région, à Millau, à Rodez (Aveyron)… En janvier 1973, un convoi de tracteurs monte même jusqu’à Paris. Mais c’est la première fois, l’été de cette année-là, qu’un rassemblement national, avec des convois organisés depuis les quatre coins du pays, se tient sur les lieux même menacés par le pouvoir. Une manifestation qui frappe aujourd’hui par la sérénité de son organisation et de son déroulement, avant-garde des forums altermondialistes qui écloront deux décennies plus tard.
L’affluence dépasse toutes les attentes. Jamais, de mémoire paysanne, on n’avait vu tant de monde dans un endroit si désertique. Un public hétéroclite, intergénérationnel, mélange de milieux ouvriers, paysans, étudiants et intellectuels se retrouve là, dans une atmosphère joyeuse et politique (...)
« Un événement capital se passe dans le pays, entame Bernard Lambert de sa voix d’orateur. Il y a quelque chose qui vient de disparaître de l’Histoire. Jamais plus les paysans ne seront des Versaillais ! Jamais plus ils ne s’opposeront à ceux qui veulent changer cette société ! » (...)
des chansons occitanes, des chansons bretonnes... et un Hymne du Larzac, composé par un militant de Loire-Atlantique : « … Le Larzac restera, / Notre terre servira / À la vie des moutons. / Pas de canon. / Jamais nous ne partirons. / De gré de force, nous garderons le Larzac [...]. » (...) (...)
Caisse de résonance pour le mouvement antimilitariste
En avril est lancée l’opération « renvoi des livrets militaires » (...)
Cinquante ans plus tard, ces propos font tristement écho. « On va laisser nos terres pour entraîner les gens pour quoi faire ?, harangue Michel Courtin, l’une des têtes pensantes de la lutte. Pour aller tabasser les ouvriers et les étudiants dans les villes ? Ou alors pour aller au Tchad ? Ou alors pour expérimenter les armes qu’on va vendre à des gouvernements bien démocratiques ? » (...)
« Faites labour, pas la guerre », arborent des T-shirts çà et là dans la foule. « Le paysan produit, l’armée détruit », lit-on sur des pancartes... (...)
Si, en 1973, l’écologie n’est pas le thème le plus mis en avant sur le Larzac, elle est cependant bien là, avec ce combat qui prône un rapport respectueux à l’animal et ce que l’on n’appelle pas encore l’agriculture paysanne, en opposition à l’élevage industriel, à la monoculture et aux produits chimiques. La lutte des paysans du Larzac « défend la nature, la valeur d’un paysage et d’une région extraordinaire, contre le saccage des chars », lit-on dans un tract de 1973 d’un comité de soutien parisien. Un autre, montpelliérain, écrit : « C’est un peuple qui rejette la civilisation du béton, des centrales nucléaires, des grands ensembles, du néon et du polystyrène. »
Après 1973, d’autres rassemblements suivront sur le plateau, fortement chargés de symbolique, réunissant chaque fois plus de monde : il y aura 1974, 1977… puis une nouvelle marche sur Paris en 1978, avant la victoire finale avec l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République et l’annonce, un mois plus tard, de l’arrêt de l’extension du camp militaire.
Mais l’histoire du Larzac militant ne s’arrêtera pas là. En 2000, pour faire suite au démontage du MacDo de Millau un an plus tôt, un grand rassemblement accueille plus de 100 000 personnes au pied du causse. Rebelote en 2003 pour lutter contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC), cette fois sur les hauteurs, du côté de L’Hospitalet : 300 000 personnes sont au rendez-vous. C’est la grande époque de l’altermondialisme : « D’autres mondes sont possibles », disent les affiches.
Terre de luttes, terre d’invention, le Larzac – qui a aussi vu émerger le seul endroit en France où l’accès au foncier agricole est géré collectivement et démocratiquement afin de favoriser les jeunes installations – n’a pas dit son dernier mot. À l’heure de l’urgence climatique et de la répression qui s’est abattue sur le mouvement antibassines en lutte pour la préservation de l’eau, il sera le lieu, en août prochain, d’un nouveau rendez-vous militant.