
Depuis le milieu des années 1990, tous les gouvernements italiens, qu’ils soient de centre-gauche ou de centre-droit, ont œuvré à transformer en profondeur le marché du travail. Si l’on en croit leurs intentions déclarées, ces transformations étaient destinées à stimuler la compétitivité et à améliorer la participation à l’emploi des jeunes et des femmes, deux catégories sous-représentées sur le marché du travail italien, notamment par comparaison avec les pays d’Europe du nord. Conformément à une représentation strictement “néolibérale” de l’économie, une dose croissante de flexibilité a été introduite afin de rendre les travailleurs italiens plus “mobiles et flexibles” et de réduire l’écart supposé entre leurs rémunérations et leur productivité.
Du fait de la performance décevante de l’économie italienne, cette série de réformes a été suivie d’un intense débat. Contrairement aux objectifs annoncés, la productivité italienne a continué à stagner pendant tout le processus de libéralisation. L’emploi des jeunes et des femmes ont évolué à peu près de la même manière. De plus, en matière de compétitivité, l’Italie n’a pas particulièrement bénéficié des réformes : la réduction graduelle des droits des travailleurs et la flexibilité accrue ont poussé les entreprises à renforcer leurs stratégies de compétitivité-coût. La conséquence a été, comme le montrent tristement les statistiques Eurostat depuis le début des années 2000, une contraction des investissements en recherche et développement parallèlement à la hausse du recours aux contrats temporaires et flexibles. Cette tendance a coïncidé avec une perte de compétitivité vis à vis des partenaires européens, en particulier l’Allemagne où la flexibilisation du marché du travail s’est accompagnée d’investissements publics dans les technologies et l’innovation.
Malgré cela, la montée des revendications en faveur d’une révision du programme de réformes a été ignorée. Conformément à la tradition néolibérale en cours, qui consiste à perpétuer des recettes de politiques publiques qui ont largement fait la preuve de leur inefficacité, davantage de flexibilité a été introduite pour réaliser ce qui n’avait pas été obtenu au moyen des efforts précédents. On a assisté en Italie – comme dans les autres pays d’Europe du Sud – à une forte montée en puissance du processus de libéralisation lors de la récession de 2008. (...)
Et la montée de la dette publique – tout comme la dramatique récession qui a frappé les pays du Sud de l’Europe – a été un argument pour justifier politiquement la nécessité de réformes censées favoriser la compétitivité, ramener la croissance et réduire les dettes.
Dans ce contexte, le Jobs act de Matteo Renzi a été le dernier chapitre des réformes. Le gouvernement de centre-droit de Renzi a mis en œuvre ce qui constituait depuis la fin des années 1990 un objectif central (et difficile à faire passer) de la droite. Avec la Loi sur l’emploi n°183/2014 (le Jobs act), le gouvernement a éliminé toute obligation pour les entreprises de réintégrer les travailleurs en cas de licenciement abusif – lorsqu’il n’y a ni faute ni motif économique avéré pour justifier le licenciement. Cette obligation a été remplacée par une indemnité monétaire minimale (égale à deux salaires par année de travail) pour les travailleurs illégalement licenciés. Ainsi, après cinq années de crise dramatique, Renzi a réussi à transformer un pilier central de la protection sociale des travailleurs italiens en quelque chose qui s’apparente à un pourboire. (...)
Deux changements introduits par le Jobs act méritent qu’on s’y arrête. Le premier est l’introduction d’une nouvelle forme de contrat qui se substitue à l’ancien contrat à durée indéterminée (CDI) et est destinée à devenir la forme dominante de contrat sur le marché du travail. Ce nouveau contrat, appelé « contrat à protection croissante » (contratto a tutele crescenti), ne prévoit aucune obligation de réintégration des travailleurs en cas de licenciement abusif. Le second changement est la possibilité pour les employeurs de surveiller les salariés en recourant à différentes sortes de dispositifs électroniques. La mesure, très critiquée pour les risques d’atteinte à la vie privée et à la liberté individuelle des travailleurs qu’elle comporte, a été adoptée au nom de la nécessité “d’améliorer la productivité des travailleurs”. Ces changements participent de la redéfinition d’une norme destinée à transformer radicalement les relations capital-travail en Italie.
Un autre changement important doit être souligné. Afin de renforcer les effets de la nouvelle loi, le gouvernement Renzi a accompagné le Jobs act d’un gentil cadeau aux entreprises, sous forme d’exonérations de cotisations sociales, et pour un montant exorbitant. (...)
une chose est sûre aujourd’hui, c’est que face au chômage qui connaît son plus haut niveau depuis 1997 (et pour les jeunes depuis les années 1970), les travailleurs italiens ont perdu la meilleure protection sur laquelle ils pouvaient encore compter.