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le Monde Diplomatique/Mohammed Harbi Historien, auteur, avec Benjamin Stora, de La Guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie, Robert Laffont, Paris, 2004
Le 8 mai 1945, tandis que la France fêtait la victoire, son armée massacrait des milliers d’Algériens à Sétif et à Guelma.
#guerredAlgerie #8mai
Article mis en ligne le 8 mai 2023

Désignés par euphémisme sous l’appellation d’« événements » ou de « troubles du Nord constantinois », les massacres du 8 mai 1945 dans les régions de Sétif et de Guelma sont considérés rétrospectivement comme le début de la guerre algérienne d’indépendance. Cet épisode appartient aux lignes de clivage liées à la conquête coloniale.

La vie politique de l’Algérie, plus distincte de celle de la France au fur et à mesure que s’affirme un mouvement national, a été dominée par les déchirements résultant de cette situation. Chaque fois que Paris s’est trouvé engagé dans une guerre, en 1871, en 1914 et en 1940, l’espoir de mettre à profit la conjoncture pour réformer le système colonial ou libérer l’Algérie s’est emparé des militants. Si, en 1871 en Kabylie et dans l’Est algérien et en 1916 dans les Aurès, l’insurrection était au programme, il n’en allait pas de même en mai 1945. Cette idée a sans doute agité les esprits, mais aucune preuve n’a pu en être avancée, malgré certaines allégations.

La défaite de la France en juin 1940 a modifié les données du conflit entre la colonisation et les nationalistes algériens. Le monde colonial, qui s’était senti menacé par le Front populaire – lequel avait pourtant, sous sa pression, renoncé à ses projets sur l’Algérie –, accueille avec enthousiasme le pétainisme, et avec lui le sort fait aux juifs, aux francs-maçons et aux communistes.

Avec le débarquement américain, le climat se modifie. Les nationalistes prennent au mot l’idéologie anticolonialiste de la Charte de l’Atlantique (12 août 1942) et s’efforcent de dépasser leurs divergences. Le courant assimilationniste se désagrège. Aux partisans d’un soutien inconditionnel à l’effort de guerre allié, rassemblés autour du Parti communiste algérien et des « Amis de la démocratie », s’opposent tous ceux qui, tel le chef charismatique du Parti du peuple algérien (PPA), Messali Hadj, ne sont pas prêts à sacrifier les intérêts de l’Algérie colonisée sur l’autel de la lutte antifasciste. (...)

l’histoire s’accélère. Les gouvernants français continuent à se méprendre sur leur capacité à maîtriser l’évolution. De Gaulle n’a pas compris l’authenticité des poussées nationalistes dans les colonies. Contrairement à ce qui a été dit, son discours de Brazzaville, le 30 janvier 1944, n’annonce aucune politique d’émancipation, d’autonomie (même interne). « Cette incompréhension se manifeste au grand jour avec l’ordonnance du 7 mars 1944 qui, reprenant le projet Blum-Violette de 1936, accorde la citoyenneté française à 65 000 personnes environ et porte à deux cinquièmes la proportion des Algériens dans les assemblées locales », écrit Pierre Mendès France à André Nouschi (1). Trop peu et trop tard : ces miniréformes ne touchent ni à la domination française ni à la prépondérance des colons, et l’on reste toujours dans une logique où c’est la France qui accorde des droits...

L’ouverture de vraies discussions avec les nationalistes s’imposait. Mais Paris ne les considère pas comme des interlocuteurs. (...)

L’enlèvement de Messali Hadj et sa déportation à Brazzaville, le 25 avril 1945, après les incidents de Reibell, où il est assigné à résidence, préparent l’incendie. La crainte d’une intervention américaine à la faveur de démonstrations de force nationalistes hantait certains, dont l’islamologue Augustin Berque (2). Exaspéré par le coup de force contre son leader, le PPA fait de la libération de Messali Hadj un objectif majeur et décide de défiler à part le 1er mai, avec ses propres mots d’ordre, ceux de la CGT et des PC français et algérien restant muets sur la question nationale. A Oran et à Alger, la police et des Européens tirent sur le cortège nationaliste. Il y a des morts, des blessés, de nombreuses arrestations, mais la mobilisation continue.

Le 8 mai, le Nord constantinois, délimité par les villes de Bougie, Sétif, Bône et Souk-Ahras et quadrillé par l’armée, s’apprête, à l’appel des AML et du PPA, à célébrer la victoire des alliés. Les consignes sont claires : rappeler à la France et à ses alliés les revendications nationalistes, et ce par des manifestations pacifiques. Aucun ordre n’avait été donné en vue d’une insurrection. On ne comprendrait pas sans cela la limitation des événements aux régions de Sétif et de Guelma. Dès lors, pourquoi les émeutes et pourquoi les massacres ? (...)

seule réponse, c’est l’appel à la constitution de milices et à la répression. Ils trouvent une écoute chez Pierre-René Gazagne, chez le préfet de Constantine Lestrade Carbonnel et le sous-préfet de Guelma André Achiary, qui s’assignent pour but de « crever l’abcès ».

A Sétif, la violence commence lorsque les policiers veulent se saisir du drapeau du PPA, devenu depuis le drapeau algérien, et des banderoles réclamant la libération de Messali Hadj et l’indépendance. Elle s’étend au monde rural, où l’on assiste à une levée en masse des tribus. A Guelma, les arrestations et l’action des milices déclenchent les événements, incitant à la vengeance contre les colons des environs. Les civils européens et la police se livrent à des exécutions massives et à des représailles collectives. Pour empêcher toute enquête, ils rouvrent les charniers et incinèrent les cadavres dans les fours à chaux d’Héliopolis. Quant à l’armée, son action a fait dire à un spécialiste, Jean-Charles Jauffret, que son intervention « se rapproche plus des opérations de guerre en Europe que des guerres coloniales traditionnelles (4) ». Dans la région de Bougie, 15 000 femmes et enfants doivent s’agenouiller avant d’assister à une prise d’armes.

Le bilan des « événements » prête d’autant plus à contestation que le gouvernement français a mis un terme à la commission d’enquête présidée par le général Tubert et accordé l’impunité aux tueurs. (...)

Les conséquences du séisme sont multiples. Le compromis tant recherché entre le peuple algérien et la colonie européenne apparaît désormais comme un vœu pieux.

En France, les forces politiques issues de la Résistance se laissent investir par le parti colonial (...)

Les conséquences du séisme sont multiples. Le compromis tant recherché entre le peuple algérien et la colonie européenne apparaît désormais comme un vœu pieux.

En France, les forces politiques issues de la Résistance se laissent investir par le parti colonial (...)

La guerre d’Algérie a bel et bien commencé à Sétif le 8 mai 1945.