
Ce que Lassana a fait sur son lieu de travail, le 9 janvier dernier, personne d’autre que lui n’aurait pu le faire ainsi...
Lorsque j’ai rencontré Lassana au lycée Jean Jaurès (Paris XIXe), j’appartenais déjà à une équipe de profs soudée : ma collègue d’arts appliqués Zimba Benguigui emmenait les tailleurs de pierre et les carreleurs-mosaïstes (dont Lassana) à la découverte des trésors de Pompéi, pour un voyage scolaire en Italie. Mon collègue d’anglais Philippe Clarac animait un ciné-club le lundi soir. Nous proposions aussi aux élèves, des ateliers de musique pour tous les goûts : métal, pop, rap ou coupé décalé l’après-midi. Le midi était consacré au djembé et les voisins immédiats de la cours de récréation du lycée s’en souviennent encore avec émotion. Notre proviseur était également très ouvert sur la culture et avait accueilli l’équipe du film "Entre les murs", qui fut tourné en un été à Jean Jaurès. Geoffrey Oryema (artiste World music internationalement reconnu) venait animer nos Journées Portes Ouvertes, aux côtés de la batucada rose de Paris : Yolande Do Brasil.
Lassana était surtout intéressé par le foot, il était capitaine de son équipe et
n’avait pas le temps de participer à nos ateliers de musique. Par contre, il
était présent à tous nos concerts et représentations, prêt à danser et mettre
l’ambiance.
(...) Aux réunions de notre comité, on accueillait les élèves et les familles qui devaient demander des titres de séjour à la Préfecture de Police.
On y préparait les dossiers, on les rassurait et on les accompagnait à la
Préfecture. C’est ainsi que Lassana vint un soir, accompagné de son grand frère, à une de nos réunions pour nous demander un coup de main. Il fut parrainé par un de mes collègues, professeur de peinture et par un membre de la LDH, lors d’une cérémonie très émouvante dans la grande salle de la mairie du XIXème arrondissement. A cette époque, lors de ces cérémonies, les élus parrainaient en moyenne 70 familles ou jeunes scolarisés, en les plaçant sous leur protection.
Les classes de primaire montaient sur l’estrade pour chanter en chœur et nous amenions nos djembés ou nos guitares pour participer à l’ambiance. Les familles parrainées s’occupaient du buffet et on pouvait manger des beignets aux crevettes en entrée, du tiep bou dien (très bon, mais pas très pratique à manger debout dans une assiette en carton avec une fourchette en plastique) en plat de résistance et du baklava en dessert, sans oublier une coupe de champagne.
C’était des moments magiques.
Lassana quitta Jean Jaurès en 2009, avec 2 CAP en poche, un en
Carrelage et l’autre en Peinture. Malgré un dossier excellent, la Préfecture de Police de Paris refusa de lui délivrer un titre de séjour en mars 2009. Pour l’appel, qui fût jugé au Tribunal Administratif en janvier 2010, Lassana se défendit seul dans le tribunal sans avocat. Avec Anthony Jahn de RESF 19ème, nous l’avions aidé à préparer sa plaidoirie. A cette occasion, il nous avait déjà impressionnés par la maturité et le courage dont il avait fait preuve.
Entre temps Lassana s’inscrit en Bac Professionnel d’Aménagement Finition à Hector Guimard. Il gagna son appel et fût régularisé après un combat qui dura 20 mois. Il ne poursuivit pas ses études, car il avait besoin de travailler. Après la régularisation, Lassana resta mobilisé aux côté du comité Jean Jaurès et apportait son soutien aux camarades qui traversent les épreuves qu’il a dû traverser. (...)
Ce que Lassana a fait sur son lieu de travail, le 9 janvier dernier, personne d’autre que lui n’aurait pu le faire ainsi. Mais ce que nous avons fait au nom du Réseau Education Sans Frontières pour l’accueillir et l’aider à se sentir le bienvenu en France, tout le monde peut le faire...