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La vie quotidienne de ma grand-mère dans l’Allemagne nazie
Article mis en ligne le 1er octobre 2018
dernière modification le 29 septembre 2018

(...) Ma grand-mère est née à Berlin en 1925. Elle avait 8 ans lorsque les nazis ont pris le pouvoir, 13 ans au moment de l’Anschluss et 20 ans à la fin de la guerre. J’ai eu l’occasion d’en parler avec elle au cours de ma jeunesse. Voici ma vision des choses, basée sur nos conversations.

Il y avait une famille juive dans l’immeuble. Après l’adoption des lois raciales, les juifs se virent imposer des limites et n’étaient par exemple autorisés qu’à acheter de la viande de cheval au marché. Les familles qui habitaient l’immeuble se relayaient pour cuisiner un ragoût ou autre chose et chargeaient les enfants de le leur apporter, car il y avait moins de risque que la Gestapo arrête des enfants transportant une casserole. La famille juive finit par disparaître. Ma grand-mère ne sut jamais ce qu’elle était devenue.(...)

Tout était extrêmement propre et la criminalité était très faible. Si vous étiez allemand, vous promener dans la rue était très sûr.

Tout au long des années 1930, un sentiment de fierté nationaliste régna sur l’Allemagne. La situation économique de la plupart des Allemands et Allemandes s’améliora. Hitler s’exprimait régulièrement à la radio. J’ai l’impression qu’il était apprécié de l’Allemand moyen. À l’époque, les gens se sentaient fiers et lui étaient reconnaissants d’avoir mis un terme aux difficultés économiques de la fin des années 1920.

Ma grand-mère se souvenait du jour où les nazis débarquèrent à l’école pour changer les manuels scolaires. Ils prirent tous les vieux livres et les remplacèrent par de nouveaux ouvrages conformes à l’idéologie du parti.(...)

Ma grand-mère acquit la nationalité américaine dans le cadre du War Brides Act et emménagea aux États-Unis alors qu’elle ne parlait presque pas anglais, et avec un accent très fort. Dans l’ensemble, le fait d’être allemand aux États-Unis dans les années 1950 était source de gêne.

Lorsqu’ils téléphonaient à leurs amis et à leur famille à Berlin-Est, les Allemands et Allemandes vivant en Amérique du Nord partaient du principe que les lignes étaient sur écoute. Ma grand-mère ne revit ses amis et sa famille que lorsqu’elle retourna à Berlin au milieu des années 1960. Jusqu’à la fin de sa vie, elle appela chaque semaine ou chaque mois ces gens dont elle avait été si proche pendant son enfance, mais elle ne les revit qu’une fois au milieu des années 1960 et une fois au début des années 1980.(...)

Ses récits m’ont donné une vision de l’enfance en Allemagne nazie différente de celle que l’on a normalement. Les films opposent toujours les bons et les méchants. Dans la vraie vie, les choses sont bien plus compliquées : il y avait les membres du parti, les fanatiques, les chemises brunes, la Gestapo, les SS, les résistants et les Allemands ordinaires. Se promener dans la rue pouvait être sans risque, mais dire quelque chose de travers aux personnes au pouvoir pouvait être dangereux. Il était entendu que certaines personnes devaient être traitées d’une certaine façon, mais personne n’expliquait pourquoi. Ce comportement à suivre était compris et enseigné, mais il allait également à l’encontre du contrat social.

Ce qui est effrayant, c’est que la plupart des Allemands en 1933 n’étaient pas si différents de la plupart des Américains. Ils cédèrent seulement le pouvoir au monstre au mauvais moment.

Ma grand-mère a toujours été fière d’être Allemande, mais elle eut honte de la période nazie le restant de sa vie. (...)

Les conséquences du nazisme étaient immenses. Pendant six longues années, les nazis ignorèrent le Traité de Versailles ; s’ensuivirent la mort, la famine et toute une vie de honte et de séparation physique.(...)

Je ne dis pas cela pour excuser les Allemands de l’époque, mais pour mettre en garde mes compatriotes d’aujourd’hui, qui s’enthousiasment à l’idée du nationalisme et du nativisme sans vraiment réfléchir aux conséquences.

Attention : c’est une tache dont on ne se débarrasse pas.