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Les eaux glacées du calcul égoïste
La tragédie de Bourg-Fidèle, par Denise Schneider
« Des héros du futur », Denise Schneider, 2012.
Article mis en ligne le 31 octobre 2015
dernière modification le 27 octobre 2015

Bien avant que le vocable de « lanceur d’alerte » ne défraie la chronique, les habitants d’une région rurale des Ardennes ont été littéralement décimés par les rejets toxiques d’un complexe industriel, l’usine de Métal-Blanc, qui restera dans les mémoires comme le vecteur de l’une des plus épouvantables catastrophes environnementales survenues en France. Témoignage de Denise Schneider, présidente de l’association qui mena le combat, qui se poursuit encore aujourd’hui. En mémoire des victimes. Contre l’oubli. Pour que cela ne se renouvelle pas.

(...) J’ai vécu avec ces villageois l’angoisse du lendemain, l’angoisse d’une santé anéantie, j’ai redouté comme eux la précarité d’une pauvre survie, sans les ressources de la terre empoisonnée, sans les petits élevages, sans les truites. Les lapins de Raymond crèvent, en mangeant l’herbe du bourg.

Raymond est salarié à l’usine Métal-Blanc durant les années 80, et comme d’autres collègues, il est licencié pour cause de saturnisme. J’ai toujours les papiers du licenciement de Raymond voué au chômage.

A l’été de l’an 2011, cette victime décédera. C’est un témoin non consentant, dès lors que la réalité lui saute aux yeux.

Il est un des premiers lanceurs d’alerte officiels du Bourg. Après l’extension de l’usine, en 1996, il continue de sillonner les routes de sa campagne en vélo. L’ancien de l’usine clame sa détresse à tous les vents pollués du plateau de Rocroi. Parfois un hasardeux passant partage cette prise de conscience de fin d’époque.

Raymond répète à qui veut l’entendre : « Les grenouilles ont disparu… Les oiseaux aussi… et les truites ! Mes lapins crèvent, quand je les nourris avec l’herbe de mon jardin : fini l’élevage ! Fini de cueillir les mûres, les champignons, mon médecin l’a déconseillé… ».

Raymond et sa famille ont aidé l’association de défense de l’environnement de Bourg-Fidèle à faire connaître la vérité sur le plan national.

La famille de Raymond - qui compte trois enfants -, survit avec le maigre chômage du chef de famille. Ce drame injuste dû au pollueur local dure pendant une quinzaine d’années. La maladie professionnelle du chef de famille est un tabou soigneusement occulté. En effet, un taux d’invalidité est attribué au malade par la Sécurité sociale… oui, mais ce fut le taux ZERO.

Raymond continue à souffrir - durant des années -, de taux de plomb dans le sang gravitant autour des 200 µg/l, après son licenciement. (...)

Francis souffre du mal de ses bovins. Il porte en lui le drame de ses bêtes paralysées, décharnées, avec leur pelage mité, leurs yeux opaques, devenus aveugles… Je vais voir certaines des bêtes à l’agonie : autant regarder le fléau en face. Puisque le maire de l’époque refuse de considérer la misère de son bourg et de ses environs.

Les paisibles ruminants agonisent durant des jours, le regard éperdu d’épouvante et de douleur. Nous sommes étreints de compassion. Et Francis qui tire le diable par la queue, voit ses revenus disparaître… Sa voiture, sur le bas-côté devant ma maison, pétarade durant nos soirées de désespérance. C’est que, si le contact était coupé, mon compagnon d’infortune ne pourrait plus redémarrer.

Un malheur arrive rarement seul. La maison de Francis brûle complètement, quelques années plus tard. Puis Francis nous quitte pour l’au-delà, sans jamais avoir été dédommagé par la justice, qui doit encore statuer quant aux pertes des éleveurs ; la plainte remonte à 1999... Une plaidoirie est annoncée pour le premier semestre 2012…Mais Francis repose au cimetière de Rocroi, depuis 2008. (...)

La pensée des édiles bien-pensants semble scellée pour l’éternité, et le pollueur local a réussi durant des décennies à faire mourir des salariés, et des animaux, sans bruit. Pour les victimes du bourg, la coupe est devenue amère, il faut la boire tous les jours, jusqu’à la lie. Nous sommes hors du temps et de la société ordinaire.

Le témoignage qui suit est un cri au monde : les humains veulent-ils finir dans une totale déchéance ? (...)

Ici, comme ailleurs en France, un processus draculéen, sournois, impérieux, perdure depuis des décennies.

Il faut perdre sa vie, pour la gagner.

La réalité dépasse la fiction. Certains acteurs - dont des salariés -, se trompent parfois de rôle, et d’histoire.

Le mythique emploi a rendu plus riches encore les voyous pollueurs, milliardaires de notre époque ! (...)

Marjorie, après des années de doutes, de souffrances si typiques aux métaux lourds, a fini par réaliser ses propres analyses, il y a deux mois. - "Si les vaches ont des métaux, nous en avons aussi ! " avait-elle "rugi" selon un journaliste.

Mais elle s’est tue quand le verdict est tombé : les résultats d’analyses de selles, réalisées à Bremen, en Allemagne, sont - et seront pour des décennies -, le signal renouvelé d’un immense combat contre des métaux lourds incrustés dans les os.

D’abord l’enfant, puis la mère ! Et la mère atteinte contamine son bébé, avant la naissance.

Un directeur de recherches de l’INSERM nous avait appris ce fait en 1999. C’était lors du tournage d’un documentaire réalisé par Mireille Dumas sur notre site. (...)

Quand j’ai eu une crise aigüe, une attaque de métaux lourds début 1999, je savais déjà ce que les analyses ont confirmé par la suite. Je savais qu’il s’agissait d’un fléau de fin d’époque, d’une affaire aussi grave que celle de l’amiante.

J’ai lutté, pour ne pas me suicider de douleur nerveuse, lors de cette crise inhumaine qui dura plusieurs semaines.

Ma vie ne sera plus jamais comme avant cet épisode qui m’a rappelé les crimes par empoisonnement.

D’ailleurs, du temps de Louis XIV, on empoisonnait déjà au mercure et à l’arsenic, ces deux toxiques présents sur notre site. »