
Les publications sur le travail et l’emploi abondent. Elles viennent de tous côtés. De celui des gouvernants, des idéologues du patronat, et de la majorité des prétendus experts académiques ou des officiants grassement payés dans les organismes internationaux prônant la baisse des salaires et l’abaissement des protections sociales. Du côté aussi de ceux qui dénoncent les « emplois de merde »[1] ou qui continuent à défendre un code du travail protecteur, la réduction du temps de travail pour endiguer le chômage et concevoir un modèle non productiviste, et la réduction des inégalités de revenus[2]. Mais il y a aussi une troisième catégorie qui s’est saisie des thèmes à la mode : la révolution numérique qui fait soi-disant arriver la fin du travail, l’économie collaborative des auto-entrepreneurs qui peuvent survivre grâce au revenu d’existence.
Le livre récent du sociologue Raphaël Liogier appartient à cette derrière catégorie : Sans emploi, Condition de l’homme postindustriel (Les Liens qui libèrent, 2016). Cet essai s’appuie-t-il sur des faits objectifs ou bien est-il une suite de préjugés idéologiques s’inscrivant dans l’air du temps ? En prenant le lecteur à contrepied, Liogier annonce plusieurs bonnes nouvelles. Correspondent-elles à la réalité ?
Première nouvelle : le capitalisme a disparu (...)
Le livre de Raphaël Liogier est en phase avec l’air du temps. Il épouse tous les thèmes à la mode : le plein emploi est fini, le travail aussi et les revenus tombent donc du ciel, le droit du travail est obsolète, le droit constitutionnel au travail est désuet, l’impôt progressif sur le revenu est archaïque, le surhomme est en marche… On avait pris l’habitude des apologies de l’économie néolibérale, va-t-il falloir se faire à l’idée que la sociologie néolibérale a emboîté le pas à celle-ci ? On nous a souvent annoncé la disparition des classes sociales, on sait ce qu’il en est. Dire que le capitalisme a disparu relève de l’idéologie. Au vu d’une crise écologique peut-être insurmontable, affirmer que nous sommes dans une économie d’abondance quasi infinie est un fantasme absolu. Et, si nous prenions un seul instant au sérieux cette dernière affirmation en retenant l’hypothèse d’une tendance, pourquoi faudrait-il abandonner le choix de la réduction du temps de travail pour accompagner cette tendance tant qu’il reste encore du travail à effectuer ? C’est dire qu’idéologie et fantasme débouchent sur une aporie intellectuelle.