
Vous regardez trop la télévision, bonsoir. Cette entame d’une célèbre émission n’empêchait pas qu’elle soit assidûment suivie chaque jour. Nous regrettons de passer trop de temps devant le petit écran et pourtant nous consacrons aujourd’hui 10 minutes de plus qu’en 2010 à regarder les programmes télé.
Est-ce donc une mauvaise habitude si difficile à contrôler ? (...)
Trois heures quarante-deux en moyenne, ça occupe toute de même bien la journée ! En plus, ce chiffre ne comprend pas l’usage de l’écran de télévision pour autre chose que visionner des programmes télé en direct ou en rediffusion, par exemple jouer aux jeux vidéo ou regarder un film acheté à la demande. Il faudrait rajouter 20% de temps en plus.
Cette durée quotidienne à consommer des programmes de télé vous surprend peut-être. Une partie de l’étonnement tient sans doute à l’effet d’une moyenne toutes populations confondues. Les téléspectateurs les plus assidus sont les retraités. Les plus de 65 ans passent le double de temps que les autres devant les chaînes de télévision. (...)
L’attention des observateurs et des analystes porte aujourd’hui sur le temps passé sur d’autres écrans et consacré à d’autres contenus. Le téléphone portable et ses multiples applications auraient chassé le meuble de télévision et ses émissions, et les Netflix, YouTube et consorts évincé le film ou le foot du dimanche soir. C’est cette nouvelle surconsommation qui inquiète dorénavant. Ce n’est pas une raison pour oublier la surconsommation de télévision. D’autant qu’elle a fait l’objet de nombreux travaux qui pourraient être utiles pour comprendre nos nouvelles habitudes. (...)
intrigués par le peu de satisfaction retirée par les téléspectateurs, les économistes se sont beaucoup penchés sur la question. Leur perplexité tient à ce que le choix du consommateur rationnel est censé refléter sa satisfaction (son utilité dans le jargon). La théorie suppose même qu’il la maximise. Si un individu décide de regarder quatre heures de télévision par jour, c’est qu’il en retire un plus grand bonheur que s’il la regardait une heure de moins. En particulier parce qu’il préfère passer cette heure devant son poste que de la consacrer à d’autres loisirs comme la lecture et d’autres occupations comme dormir. (...)
Pourtant regarder la télévision est moins apprécié que la plupart des autres loisirs, et au réveil d’une longue soirée passée devant la télé pointe immanquablement le regret de ne pas s’être couché plus tôt. Les téléspectateurs déclarent le plus souvent qu’ils passent plus de temps devant la télévision qu’il n’est bon pour eux. 40% des adultes et 70% des adolescents américains admettent par exemple qu’ils regardent trop la télévision.
Économie du bonheur
Comment les économistes savent-ils que le téléspectateur est moins heureux à trop regarder la télé ? Parce qu’ils s’intéressent au bonheur et à ses mensurations. L’économie du bonheur est même devenue une sous-discipline académique reconnue. En simplifiant, elle propose une mesure du bien-être subjective en demandant aux individus s’ils sont dans l’ensemble satisfaits de leur vie. Par exemple, sur une échelle croissante de satisfaction de 0 à 10. Elle cherche ensuite à établir comment cet indice varie selon le revenu, l’âge, le niveau d’étude, la situation familiale, le nombre d’amis, la richesse du pays... (...)
Comment alors expliquer que des individus décident de regarder la télé pour une durée qui va à l’encontre de leur satisfaction, qui les rend finalement malheureux ? (...)
On peut aussi être tenté d’énoncer que la surconsommation de télévision, sans trop savoir donc où se situerait son seuil, rend malheureux. Attention toutefois. Les travaux comme celui déjà cité et ceux qui le confirment établissent bien une corrélation négative entre le bonheur et la consommation télévisuelle mais ne permettent pas de trancher sur la causalité : est-ce que les gens sont plus malheureux parce qu’ils regardent trop la télé, ou est-ce parce qu’ils sont plus malheureux qu’ils regardent trop la télé ? Des travaux complémentaires avancent, pour certains, que c’est le premier sens qui prévaut, et pour d’autres, que c’est le second. (...)
Une première raison avancée par les économistes du bonheur tient à ce que celui-ci dépend en partie de notre position vis-à-vis des autres. Nous nous situons par rapport à des références : nos voisins, nos amis, nos collègues... Nous aspirons à aussi bien ou à mieux qu’eux. Cette sorte de réflexe à se comparer est très documenté en économie comportementale et en psychologie expérimentale.
Or, la télévision véhicule plutôt l’image d’un monde de personnes aisées, transpirant la réussite, au physique avenant, portant des vêtements à la mode et des accessoires de luxe... Cette explication semble corroborée par les enquêtes. Les gros consommateurs de télévision retirent en effet une moindre satisfaction de leur revenu que ceux qui ne regardent la télévision qu’occasionnellement (...)
En outre, les gros consommateurs de télévision accordent une plus grande importance à être riche dans la vie que ceux qui regardent la télévision moins de 1,5 heure par jour.
Une seconde raison tient au manque de contrôle sur soi qui empêche la prise en compte des effets de long terme. Les téléspectateurs sont comme des consommateurs de cigarettes ou d’alcool qui, minorant les risques sur la santé, allument une nouvelle cigarette ou reprennent un petit verre. Des gestes d’autant plus faciles que leur effet bénéfique est immédiatement ressenti alors que leurs conséquences négatives sont lointaines. (...)
Adam Smith (1723-1790) ne regardait pas la télévision, mais il avait déjà observé dans sa théorie des sentiments moraux qu’une « des qualités qui nous est le plus utile […] est cet empire sur soi-même [self-command], qui nous rend capables de nous abstenir d’un plaisir actuel, ou de supporter une peine actuelle, pour obtenir pour l’avenir un plus grand plaisir, ou pour éviter une plus grande peine ».
Quant à moi si vous lisez cet article en fin de journée au lieu de regarder la télévision je vous dis « A tchao bonsoir ».