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La société secrète du spectacle
Article mis en ligne le 4 janvier 2015
dernière modification le 2 janvier 2015

Freaks, de Tod Browning, est à beaucoup d’égards – et entre beaucoup d’autre choses – un anti-« Exhibit B » : là où la récente performance de Brett Bailey réduit des sujets humains au rang de simples objets d’exhibition, de pures victimes passives et silencieuses, Browning s’est intéressé à de réels « monstres de foire », qui donnent en spectacle leur anomalie, mais aussi les talents singuliers que chacun-e a développés, et il l’a fait surtout avec une empathie et une intelligence qui lui ont permis de... les voir, tout simplement, et les montrer, pour ce qu’ils sont : des sujets pensants et agissants, capables de ruse mais aussi d’amitié, de solidarité, d’action collective pour réagir à l’offense, empêcher sa perpétuation, faire payer le coupable. C’est donc sous le signe de ce film proprement extraordinaire, et d’une riche exégèse qu’en propose Pacôme Thiellement, que nous avons décidé d’inaugurer l’année 2015.

(...) Freaks, c’est l’entrée dans un monde qui a été décrit successivement par ses commentateurs comme celui de l’arraisonnement par la technique, du spectacle, du contrôle, du panoptique, de la transparence ou du simulacre. Ce monde est celui de l’humanité, détruite progressivement dans la séparation et l’esseulement progressif de tous, et regardant sa destruction comme un beau spectacle. Et Freaks est également le film qui pose les conditions de survie par la perpétuation des solidarités alternatives tératologiques – chimères errantes, gardiennes de la Tradition Primordiale, lors de la fin d’un cycle de manifestation et avant le début d’un autre. Freaks est également le film qui rappelle aux hommes, avant qu’il ne soit trop tard, qu’ils n’ont pas toujours fonctionné selon l’« homme étalon » (l’expression est du dessinateur Rémi), compétitif, prédateur, motivé par son intérêt personnel et son adéquation à une figure préalablement normée – mais que, comme dirait Mme Tetrallini, « Dieu veille sur tous ses enfants ». Freaks rappelle que la condition de la solidarité est, non la ressemblance (et sa conséquence : la compétition), mais la disparité, le « divers », la bizarrerie, les « monstres » et leur utopie : la société des Freaks – la Société Secrète du Spectacle.