
Un jour, probablement dans l’année qui a suivi l’obtention de mon permis de conduire, je me suis retrouvée sur un rondpoint où c’est aux conducteurs entrants de céder le passage à ceux qui tournent déjà. J’avais bien vu du coin de l’œil la voiture qui arrivait un peu trop vite sur ma droite, mais j’avais maintenu vitesse et trajectoire, me méfiant autant de l’hésitation que de l’anticipation.
(...) l’incommunicabilité, l’absolue conviction que nous avons chacun d’avoir raison plus que les autres, que ce soit avec ou contre eux. L’idée qu’il n’est plus besoin de débattre, que maintenant les lignes sont figées, les frontières tracées, les vérités acquises. Que l’on doit choisir son camp. Que si l’autre n’est pas avec nous, il est forcément contre nous. Et qu’il n’a forcément plus rien à nous apporter, puisque nous avons tout compris.
Je crois que c’est ça que je voulais exprimer derrière ce « pourtant ». Mon intense déception que la discussion, le débat, soient définitivement rompus, passés de mode, inutiles, comme un vestige encombrant d’un passé que tous s’efforcent d’oublier, de réécrire, à leur sauce, celle de ceux qui savent, ceux qui ont raison, ceux qui ont gagné.
Parfois, des amis me demandent si ça se passe bien avec ma fille qui avance à grands pas dans l’adolescence.
Je réponds invariablement :
Jusqu’ici, tout va bien, on continue à discuter, le dialogue n’est pas rompu.
C’est ce que je me dis. Tant que les mots circulent, rien n’est perdu. (...)