
Extraits d’une interview d’Eduardo, balayeur à la Ville de Paris. Il nous parle de la lutte contre la réforme des retraites, de la privatisation des métiers de la propreté, des enjeux écologiques liés à la gestion des déchets et des conditions de travail dans son secteur. Interview réalisée le 30/01/2020 à radio Fréquence Paris Plurielle (106.3 FM), dans le cadre de l’émission Zoom Ecologie.
Je suis en grève depuis le 5 décembre, mais même avant, puisqu’on est un secteur touché par pas mal de réformes, qui vont nous amener tout doucement vers le secteur privé. On est en grève reconductible depuis le 1er janvier 2019. (...)
ZE : Il y a trois incinérateurs à l’arrêt…
E. : C’est là où on brûle vos déchets, alimentaires et autres : toutes les bennes qui collectent vont dans les incinérateurs. Ils sont actuellement fermés : il y a un mouvement de grévistes très fort sur ces incinérateurs. Pour prendre le cas de St Ouen, il y a 80% de grévistes. Les fours sont à l’arrêt, et quand les fours ne brûlent plus, vos déchets ne brûlent pas. Il y a aussi des endroits où vos déchets sont emmenés pour être enfouis, le temps que les fours redémarrent. Le but de la manoeuvre, c’est qu’il n’y ait plus de collecte d’assurée dans Paris, et de faire monter une certaine odeur dans Paris. Les camions ne peuvent pas vider, ils sont obligés d’aller très loin, et de trouver d’autres modes. Il y a notamment des semi-remorques qui chargent les ordures, les emmènent sur des barges remorquées par des péniches, et qui vont les décharger je ne sais où… Peut-être vers d’autres villes. C’est pourquoi il faut appeler l’ensemble de la France à faire le même mouvement qu’ici : il faut bloquer les incinérateurs partout où ils sont. (...)
ZE : Ces blocages ont des conséquences économiques fortes, des effets en chaîne : sur la collecte, le balayage, l’énergie…
E. : Tout à fait. Fermer ces incinérateurs, ça bloque tout. Il faut absolument les tenir pour empêcher la collecte et faire... La "révolution par l’ordure", tout simplement !
ZE : En tant que balayeurs, quelles sont vos autres stratégies de lutte, sur le terrain ou en manif ?
E. : J’ai entendu un gars à radio FPP dire que mes collègues proposent de renverser toutes les poubelles dans Paris, pour empêcher la collecte, pour empêcher que les bennes chargent et vident. J’étais très surpris : nous, on est balayeurs, c’est dur de faire des choses comme ça ! Mais il a dit un truc très juste : il faut mettre le contenu des containers sur la chaussée, pas sur le trottoir. Sur le trottoir, nous, on doit balayer, mais sur la chaussée on n’a pas le droit d’y aller. Donc si on fait ça, et si on le fait dans des quartiers un peu plus huppés, sur les quartiers des ministères comme le 8e arrondissement, le 16e, on s’apercevra qu’il y a bien un mouvement de grève, que des gens sont en colère contre cette réforme des retraites, et qu’ils le font savoir par l’odeur et la puanteur que les poubelles peuvent dégager. (...)
Mais ça reste un mystère de savoir ce qui se passera : est-ce que les gens vont se dire qu’il y a un vrai problème dans ce pays, qui est posé par un gouvernement qui n’écoute pas son peuple ? Justement, la révolution par l’ordure ça peut amener ces gens-là à réfléchir, et à sentir ce qui se passe dans ce pays. Je n’ai pas d’état d’âme à le dire, et à faire ce genre d’action, car aujourd’hui, on en est à plus de 50 jours de grève, ce gouvernement ne nous écoute pas, et il faut mener des actions, autres que violentes. Renverser les containers, ce n’est pas violent, sauf peut-être pour les narines. (...)
On doit vivre, se nourrir, s’habiller, mais réfléchir autrement. Je ne pense pas que les questions qui sont posées à l’heure actuelle nous amènent vers ce mode de pensée ; les mesures sur le plastique, les emballages qui sont prises aujourd’hui n’ont pas d’efficacité réelle. Je suis persuadé qu’on a les moyens techniques et humains pour réduire considérablement les déchets. Il y a des gens qui pensent à ça, mais est-ce qu’on leur donne la parole ? Est-ce qu’on est à l’écoute des solutions qu’ils proposent ? Je n’en suis absolument pas persuadé, quand je vois la politique de propreté de la ville de Paris. (...)
On nous pose des questions, on nous écoute, mais est-ce qu’on nous entend ? A mon avis, non. On est dans un système où, quand on est éboueur, on est au bas de l’échelle. On est les derniers maillons de la chaîne, et la parole ouvrière, dans ce pays, on en fait peu de cas. Lorsqu’on nous dit qu’on va prendre en compte et relayer nos remarques, c’est un travail de très longue haleine, il faut beaucoup d’énergie et de patience avant d’avoir un résultat. (...)
ZE : Avec plus de dix ans de travail de balayage dans la ville, tu observes des changements dans les quantités ou les comportements ?
E. : Ce que j’aime c’est que c’est les jeunes qui jettent leurs mégots à la poubelle. Ils ont peut-être une meilleure conscience de ces problèmes-là…Dans le 1er arrondissement on fait tous les jours le même travail de ramasser des tonnes de mégots, et les gens qui les jettent continuent à me dire « c’est la première fois que je fais ça » quand ils nous voient arriver ! Pour aller vers l’écologie, faut éduquer, là les gens en n’ont rien à faire… (...)
Les gens qui font ce métier sont des hommes courageux, et des femmes aussi, puisque le métier s’est féminisé : des mères de famille se lèvent à des heures pas possible. Quand je suis rentré à la ville de Paris, on était 5900 éboueurs sur le terrain, aujourd’hui on est 4900. On nous demande de faire le même travail, avec moins de personnel. Si on veut être efficace, aujourd’hui il faut embaucher, et rester public. (...)
Avec la Loi de transformation de la fonction publique, sortie en août 2019 mais qu’Hidalgo attend les municipales pour mettre en place, on sait pertinemment qu’on va être amenés doucement vers la privatisation des services. Je demande aux parisiens d’écouter ça : quand on basculera à ce système privé, la taxe balayage va doubler ou tripler, et est-ce qu’on aura le même travail ? C’est la question que je pose. Il faut une remunicipalisation totale des collectes, embaucher du personnel, pour avoir une ville encore plus écologique et propre. (...)
le monde dans lequel on vit va vers le privé. Pourquoi on est sur cette réforme des retraites ? Tout ce qui est service public est attaqué.