
Dans le contexte de la longue démolition du système républicain d’enseignement, démolition progressive et programmée par-delà la couleur des gouvernements successifs, il n’y a pas de raison que les universités soient épargnées
Durant les années 2007-2010, elles ont connu des convulsions qui ont alerté l’opinion : en 2007, lors du vote de la loi « Loi relative aux libertés et responsabilités des universités » (« loi LRU »), puis en 2008-2009, lors de la réforme des concours de recrutement de professeurs (la « mastérisation » des concours), qui s’est accompagnée d’une levée de boucliers des enseignants chercheurs contre au projet de décret ministériel visant à modifier leurs obligations de service.
Depuis 2012 et les promesses lénifiantes du « changement maintenant », l’indifférence a gagné peu à peu. Pourtant, les « réformes », c’est-à-dire en fait les démolitions réactionnaires, ont continué, notamment avec l’adoption de la loi Fioraso, baptisée fort justement « loi LRU2 ». Il s’agit là de transformations profondes imposées pas à pas aux universités françaises, mais plus généralement aux universités européennes ; transformations d’inspiration néolibérale ou ordolibérale dont nous proposons de rappeler ici les grandes lignes, en les remettant en perspective dans l’histoire des rapports entre universités et société depuis l’Ancien Régime.
On trouvera dans l’ouvrage d’Isabelle Bruno, La grande mutation, Néolibéralisme et éducation en Europe, un tableau détaillé de ces transformations ainsi que des divers rapports ou déclarations, à l’échelle européenne ou nationale, qui en ont peu à peu assuré la promotion, puis la mise en œuvre depuis la naissance de la Communauté européenne. (...)
Le premier principe est la marchandisation de la connaissance et non sa diffusion gratuite dans la population. (...)
Le second principe est l’institution d’une concurrence généralisée, entre individus mais aussi entre universités. (...)
Quelles sont les conséquences de mutations aussi radicales ?
La première est la hausse prévisible des droits d’inscription pour les étudiants, dès lors que les universités sont mises en faillite par la restriction des crédits publics : celles qui survivront ne le pourront que grâce aux contrats avec le privé et au financement par les familles, avec en perspective l’endettement à vie des individus par le biais des prêts pour études.
La seconde est la création d’un enseignement supérieur à deux ou trois vitesses, distinguant des universités d’« excellence », des universités moyennes et des collèges universitaires de proximité. La baisse du niveau du bac, en effet, implique la poursuite des études : le mot d’ordre non dit d’une « licence pour tous » implique en fait la transformation des universités de proximité en lycées bis où, pendant quelques années de plus, on (c’est-à-dire, rappelons-le, des enseignants non chercheurs) modèlerait les individus selon les « compétences » et les « savoir-être » censés agréer à l’employeur.
La troisième est la mise sous tutelle de la recherche, puisqu’elle dépendrait largement des financements privés et de la volonté de l’équipe présidentielle gouvernant chaque université. Le même sort attend l’enseignement lui-même, en raison des pouvoirs managériaux accordés aux présidents d’université et à leurs équipes, d’autant plus qu’il voué de plus en plus à être assuré par des vacataires. Cela n’est pas pour étonner si on se souvient que la laïcité est une notion inconnue des textes européens.
Pour qui replace ces mutations dans un contexte historique un peu large, il apparaît qu’elles ne sont rien qu’un gigantesque retour en arrière (...)
Il s’ensuit que l’existence des universités au sens où elles ont été conçues à la fin du XIXe siècle, comme lieu d’élaboration et de diffusion d’un savoir critique, « rentable » à certains égards mais aussi ayant vocation de participer à l’émancipation des esprits, n’est pas un acquis dont on pourrait croire qu’il va de soi : ce ne peut être qu’un combat permanent, tout comme la sauvegarde ou la reconstruction de l’école républicaine, qui a connu les mêmes coups de pioche, tout comme aussi est un combat permanent le maintien des droits sociaux et (loin de toute illusion angélique) la reconnaissance des droits de l’Homme en général. C’est un truisme de dire que les combats convergent. C’en est moins un de dire que ces convergences, ces cohérences profondes entre les « réformes », que les dirigeants libéraux de tous bords s’ingénient à présenter sous des jours lénifiants et optimistes, doivent être inlassablement mises en lumière : c’est un des buts essentiels de l’éducation populaire.