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Mediapart
La place des enfants dans l’épidémie : une insoluble controverse
Article mis en ligne le 12 décembre 2021

Les enfants sont montrés du doigt à chaque nouvelle vague de Covid-19. Entre les épidémiologistes, qui insistent sur le rôle des écoles dans la circulation du virus, et les pédiatres, qui s’inquiètent de la santé mentale des plus jeunes, la discussion scientifique est vive. L’ouverture probable de la vaccination à tous les moins de 12 ans la complexifie.

Au printemps 2020, ils ont été confinés trois mois. Depuis, ils vivent au rythme des exclusions de l’école, parce qu’ils sont positifs ou contacts, et des fermetures de classe. Autour d’eux, les adultes s’écharpent sur un protocole sanitaire sans cesse changeant. Régulièrement, leur vie sportive ou culturelle est suspendue. Puis il est question que leurs vacances s’allongent ou qu’ils soient renvoyés chez eux par demi-classes. Et ils sont désormais les seuls Français à devoir porter le masque à l’extérieur, quand les adultes continuent à fréquenter des bars et des restaurants non ventilés. (...)

Le rôle des enfants dans l’épidémie est la plus grande controverse de cette pandémie. Elle oppose des scientifiques et des médecins, qui brandissent chacun des impératifs que l’on pensait inaliénables : le droit à la santé, à l’éducation, la protection des enfants. L’épidémiologiste Dominique Costagliola, la professeure Christèle Gras-Le Guen, cheffe de service de pédiatrie générale et des urgences pédiatriques au Centre hospitalo-universitaire (CHU) de Nantes (Loire-Atlantique) et présidente de la Société française de pédiatrie, et la pédopsychiatre Lisa Ouss de l’hôpital Necker, à Paris, fourbissent leurs arguments, souvent irréconciliables.

Résumé en quatre questions. (...)

Est-ce que les enfants sont le moteur de l’épidémie ?

La question est agitée à chaque pic épidémique et n’a pas de réponse simple. Avant la vaccination, l’incidence était la plus forte dans les classes d’âge aux plus fortes interactions sociales (...)

Deux nouveaux paramètres ont tout changé : le variant Delta, devenu dominant au début de l’été, et la vaccination massive des plus de 12 ans. Désormais, les 6-10 ans non vaccinés sont la classe d’âge la plus touchée par le virus, très loin devant les adultes. La petite enfance et les élèves de maternelles conservent une forme de protection. (...)

Quel est le risque du Covid pour les enfants ?

Lors de son audition par le Sénat, Dominique Costagliola a rappelé les chiffres de décès du Covid chez les enfants : « Il y a eu, depuis le début de l’épidémie, 15 décès d’enfants de 10 à 19 ans, 3 décès chez les 5-11 ans. Pourquoi est-ce qu’on doit accepter que des enfants meurent ? », a-t-elle interrogé.

La Haute Autorité de santé, dans son avis du 25 novembre sur la vaccination des enfants, a contextualisé ces chiffres en rappelant qu’il y a eu 420 000 cas de Covid-19 chez les enfants de 5 à 11 ans, dont 28 % ont présenté des symptômes. Parmi ces enfants, 1 294 ont été hospitalisés, dont 225 en soins critiques. La toux, la fièvre, une diarrhée, des vomissements ou de la fatigue étaient les principales causes d’hospitalisation. Plus rares, mais plus graves, des enfants et des adolescents ont été victimes de syndromes inflammatoires multi-systémiques pédiatriques (PIMS, selon l’acronyme anglais). Au 21 novembre, en France, 702 enfants ont développé un PIMS à la suite d’un Covid. Un enfant est décédé, les autres se sont rétablis sans séquelles apparentes. (...)

La santé mentale des enfants est affectée par la pandémie

Il y a bien un risque de « tri » des enfants malades, mais il se situe en pédopsychiatrie, ont alerté plusieurs médecins dans une tribune qui témoigne d’actes et d’idées suicidaires qui « déferlent depuis l’automne ». « On est face à une vague de décompensations psychiques d’enfants de plus en plus jeunes », assure la professeure de pédopsychiatrie Lisa Ouss, qui travaille à l’hôpital Necker, à Paris.

Ces enfants et ces adolescents qui vont mal viennent « de familles fragiles qui ont été un peu plus abîmées par cette crise. Ils étaient souvent en difficulté scolaire, ils ont moins travaillé pendant le confinement et s’adaptent mal aux interruptions régulières de scolarité. Leurs difficultés se sont accrues. Les tentatives de suicide sont au plus haut pendant la période scolaire. À chaque rentrée, les urgences pédopsychiatriques sont pleines ».

Les pédopsychiatres voient aussi nombre de « petits enfants avec un retard de langage, lié à leur déscolarisation pendant le confinement, à l’arrêt de leurs activités culturelles et sportives. Beaucoup d’enfants ont passé le confinement devant la télévision ».

Lisa Ouss constate chez les jeunes « un manque de confiance dans le monde des adultes, une difficulté à se projeter dans l’avenir. Il y a ceux qui manifestent, qui militent pour l’avenir de la planète. Et ceux qui restent au fond de leur lit, avec des idées noires ».

Et pour ne rien arranger, la pédopsychiatrie se retrouve, face à cette crise, en difficulté majeure, avec un quart des postes de médecins non pourvus. (...)

Faut-il vacciner les enfants ?

La Haute Autorité de santé a rendu le 25 novembre un avis favorable à la vaccination des enfants de 5 à 11 ans à risque de formes sévères de Covid-19, qu’ils souffrent de maladies cardiaques, neurologiques, de diabète, d’obésité ou de trisomie 21. Ils pourront recevoir leur première dose de vaccin pédiatrique à partir du 15 décembre.
Lundi 6 décembre, Olivier Véran a annoncé qu’une vaccination plus large des enfants serait possible, d’un point de vue logistique, à partir du 20 décembre. Elle resterait sur la base du volontariat, a assuré le ministre. Elle a débuté aux États-Unis, en Israël, au Canada, au Québec.

Un seul vaccin, celui de Pfizer, a une formulation pédiatrique adaptée. (...)

Les pédiatres sont encore réservés : « Cela fait 30 ans que je vaccine des enfants, rappelle Christèle Gras-Le Guen. Mais il me paraît impensable de recommander ce vaccin avant d’avoir des données plus complètes. Les États-Unis ont débuté la vaccination des enfants début novembre, ils commencent tout juste à injecter la deuxième dose. Il faut être très vigilants. S’il y a un seul problème avec un enfant vacciné, les conséquences seraient catastrophiques. »

La pédiatre invite aussi à « ne pas se tromper de cible. Sommes-nous contraints de vacciner 5 millions d’enfants pour protéger 5 millions d’adultes qui n’ont pas souhaité le faire ? ».