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La parité en politique, une révolution conservatrice
Article mis en ligne le 7 mai 2015
dernière modification le 30 avril 2015

En octobre dernier Sénat s’est renouvelé pour moitié. Outre la victoire de la droite, ce qui retient l’attention, c’est la résistance de la Chambre haute à la parité. Le palais du Luxembourg compte désormais 87 sénatrices, soit 25% de ses membres et un taux de féminisation qui progresse de moins de 3%. Catherine Achin et Sandrine Levêque montrent dans ce texte les multiples manières à travers lesquelles, en dépit de la loi sur la parité, l’entre-soi masculin est maintenu dans le champ politique. Soixante ans après le droit de vote des femmes, le droit d’accès desdites femmes à la représentation et à l’exercice du pouvoir n’est pas toujours pas acquis.

Depuis les modifications constitutionnelles de 1999 et 2008 qui les ont rendus possibles, les dispositifs qui favorisent l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités n’ont pourtant cessé d’être renforcés. De plus en plus contraignantes, les mesures de la première loi, dite loi sur la parité en politique, du 6 juin 2000 ont aussi été étendues à d’autres secteurs de la vie sociale et professionnelle, comme les conseils d’administration des grandes entreprises ou les conseils de surveillance et les jurys de sélection des établissements publics administratifs.

Cette emprise durcie et élargie de la contrainte paritaire semble acceptée par tous et ces mesures n’ont pas suscité de controverses particulières dans l’espace public. Certaines assemblées sont presque parfaitement mixtes d’un point de vue sexué. La parité fait ainsi l’objet d’une forme de consensus, du moins dans son principe et dans son application. Alors que c’était l’un des arguments déployés dans les années 2000 pour contester l’obligation paritaire, presque aucun faiseur de liste ne se plaint plus des difficultés à trouver des femmes qui acceptent d’être candidates. Tout se passe comme si les acteurs et actrices politiques « connaissaient la chanson » et savaient s’accommoder de ce nouvel air.

Ce chœur harmonieux est d’autant plus intriguant qu’en réalité de nombreux interstices de l’espace politique résistent à la féminisation. Il n’y a pas que des chansons d’amour : plusieurs mécanismes éclairent les logiques du maintien de villages gaulois, d’un entre soi masculin dans le microcosme. Le champ politique reste un lieu où le machisme (parfois croisé avec du racisme et du mépris de classe) s’affiche sans grands complexes. (...)

Susceptibles d’être dénoncées au grand jour, ce qui constitue un progrès, ces manifestations de sexisme n’en restent pas moins le lot de nombreuses femmes politiques. (...)

Il existe ensuite plusieurs manières de jouer avec les règles de la parité et d’en limiter les effets. Aux législatives, certains partis politiques préfèrent se priver de subventions publiques plutôt que de présenter des candidates. Un dirigeant de l’UMP reconnaissait, au moment de l’annonce des difficultés financières de son parti, que si l’organisation avait respecté la loi sur la parité en 2012, le déficit aurait été résorbé.

Lorsque l’alternance sexuée des listes est obligatoire, on constate que les hommes sont plus souvent à leur tête (...)
Par ailleurs, la « dissidence organisée », telle qu’elle se pratique pour les municipales ou pour la part des sénateurs élus au scrutin de liste à la proportionnelle, conduit elle aussi à limiter l’accès des femmes à la politique. Il est fréquent que les « sortants » ou ceux qui n’ont pas obtenu l’investiture de leur parti préfèrent emmener leur liste propre plutôt que de se voir reléguer en troisième ou cinquième position. (...)

Ces détournements sont enfin renforcés par d’autres mécanismes plus subtils mais néanmoins efficaces. Le champ politique reste soumis à une forme de loi d’airain : plus on monte dans la hiérarchie politique, moins les instances sont féminisées. Un plafond de verre interdit encore aux femmes les postes les plus valorisés de l’espace politique et surtout ceux de la présidence des exécutifs. (...)

La résistance des parois de verre est aussi très marquée et reproduit la puissante inertie de la division sexuelle du travail. Il reste, en politique comme ailleurs, des domaines « masculins », plus valorisés et supposés plus techniques, comme les finances, les affaires étrangères ou les transports, et des secteurs « féminins » comme le social, la culture et la petite enfance, moins valorisés et pensés comme ne mettant pas en œuvre de compétences spécifiques mais des qualités « naturelles ».

La professionnalisation politique des femmes reste ainsi plus lente que celle des hommes. (...)

Les femmes quittent leur mandat plus rapidement et pour des raisons moins évidentes que les hommes (eux bénéficiant d’une « promotion » politique ou atteignant une limite d’âge très avancé). En ce sens, elles font de la « politique autrement », mais minoritaires dans ces pratiques, parfois subies, elles ne modifient pas en profondeur les rôles politiques.

On l’a compris, la « bonne volonté paritaire » fonctionne en trompe-l’œil : la mise en avant de quelques symboles médiatisés (comme le « duel de dames » des municipales à Paris entre Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet, ou la promotion de femmes dans des équipes gouvernementales paritaires) masque la fragilité de la professionnalisation de la plupart des femmes politiques (...)