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Le Monde Diplomatique
La paix par la force ou par le droit ?
Gabriel Galice Président de l’Institut international de recherches pour la paix (Gipri), Genève. Auteur, avec Christophe Miqueu, de Penser la République, la guerre et la paix, sur les traces de Jean-Jacques Rousseau, Slatkine, Genève, 2012
Article mis en ligne le 24 septembre 2015
dernière modification le 19 septembre 2015

Souvent, l’enfer guerrier est pavé de bonnes intentions pacifiques. La nouveauté réside aujourd’hui dans une certaine banalisation du recours à la force et dans l’installation de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) comme bras armé d’un ordre mondial dicté par les Occidentaux.

L’intervention au Kosovo en 1999, décidée sans l’autorisation du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), prépara la mue de l’OTAN, habillage humanitaire en prime. Le 23 septembre 2008, dans une déclaration commune d’abord tenue secrète, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon et le secrétaire général de l’OTAN Jaap de Hoop Scheffer formalisaient cette dérive de l’architecture onusienne de la sécurité, que l’intervention de l’Alliance atlantique en Libye en 2011 a confirmée.

Pourtant, la Charte des Nations unies, signée le 26 juin 1945 à San Francisco et conçue en opposition à la guerre, fait obligation aux Etats de recourir au règlement pacifique des différends. Son préambule l’annonce clairement : « Nous, peuples des Nations unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances... » L’article 2.3 stipule en conséquence que « les membres de l’organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationale ainsi que la justice ne soient pas mises en danger ». Ce principe cardinal s’assortit de moyens : « Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation, d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix » (article 33 du chapitre VI).

Contrairement à une idée reçue, cette méthode a rencontré un certain succès. « Dans les années 1990, plus de conflits se sont clos sur une négociation (quarante-deux) que sur une victoire militaire (vingt-trois) », souligne l’ambassadeur Thomas Greminger (1). Diplomatiques (négociation, enquête, médiation, conciliation) ou judiciaires (arbitrage, jugement), les procédures de règlement pacifique des différends évoquées par l’article 33 sont couramment mises en œuvre.

Nombre d’entre elles concernent des conflits internes aux Etats. (...)

A cette panoplie s’ajoutent les missions de « bons offices » dans lesquelles excellent certains pays. La Suisse, par exemple, rendit possibles les accords d’Evian entre la France et le Front de libération nationale (FLN) algérien en 1962. La Norvège organisa les négociations entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui aboutirent aux accords d’Oslo, signés en 1993. Le secrétaire général de l’ONU Kurt Waldheim réussit une mission semblable à Chypre en 1975.

Pourtant, les échecs du règlement pacifique des différends sont patents. Les espoirs nés de la fin de la guerre froide n’ont guère eu de suite. En 2000, la commission présidée par M. Lakhdar Brahimi évaluait à plus de cinq millions les victimes des conflits des dix dernières années. (...)

Par la résolution 687 d’avril 1991, le Conseil de sécurité s’est abusivement attribué une prérogative de la CIJ en imposant des indemnisations à l’Irak. Le 22 mai 2003, par la résolution 1483, le Conseil, sur proposition des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l’Espagne, entérinait indirectement (à l’unanimité des quatorze membres présents) l’occupation et l’exploitation de l’Irak (2), validant ainsi a posteriori une action illégale. La France, la Chine et la Russie se résignèrent, de guerre lasse, pour préserver une marge de négociation de leurs intérêts face à la victoire immédiate — du moins en apparence — des Etats-Unis.

Les affrontements par groupes locaux interposés en Ukraine, en Syrie ou au Yémen constituent des exemples récents de ces « guerres par procuration » qui, durant la guerre froide, eurent cours en Corée, au Vietnam, en Angola, au Nicaragua et ailleurs. Plus grave apparaît encore la « légitime défense préventive », cet abus de droit avancé par M. George W. Bush en Irak, lorsqu’il invoqua fallacieusement l’article 51 de la Charte. On assiste à de nouveaux recours à la force basés sur une instrumentalisation des droits humains (3), tandis que les Occidentaux s’affranchissent des règles du droit en délocalisant leurs « interrogatoires poussés », en refusant de traiter les prisonniers conformément aux conventions de Genève ou en engageant de manière illicite la force armée. « Dans ce cas, on piétine également le droit et on donne des munitions à ceux qui veulent abattre notre système démocratique, explique l’ancien procureur suisse Dick Marty. En agissant de la sorte, nous procédons nous-mêmes à la démonstration que le système ne respecte pas les règles qu’il s’est données (4). »

Après les traumatismes engendrés par l’inaction internationale à Srebrenica, en Bosnie, en 1995 et lors du génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, le concept de « responsabilité de protéger » a été institué en 2005, au sommet mondial de l’ONU. C’est l’aboutissement de longs efforts des partisans du « droit d’ingérence », qui ont commencé par s’affranchir des frontières pour porter secours aux populations avant de cautionner, au nom de la raison humanitaire, des interventions militaires.

A bien des égards, nous nous éloignons des ambitions de la Charte. Le recours à la force, justifié par une éthique instrumentalisée, s’accompagne de la multiplication et de l’imbrication des causes de conflit. (...)

Après la fin de la guerre froide, l’OTAN a transformé sa fonction de défense régionale en garantie collective planétaire auto-instituée. S’élargissant toujours davantage à l’est, l’organisation n’a cessé d’empiéter sur les prérogatives de l’ONU. (...)

Sur le plan économique, les privatisations exacerbent les pillages militarisés, les conflits sociaux, les guerres locales. Affirmé par l’Assemblée générale de l’ONU le 4 décembre 1986, le droit au développement est délaissé au profit d’une « lutte contre la pauvreté » aussi minimaliste que problématique. Or guerre et « maldéveloppement » sont liés. Les puissances économiques et technoscientifiques contournent les obligations de la Charte par l’intervention du Fonds monétaire international (FMI) ou de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), au point que le chercheur Alain Joxe parle de « souveraineté des entreprises (6) ».

Quant à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), qui porta les espoirs des pays en développement dans les années 1960 et 1970, elle se retrouve marginalisée (7). Le droit international privé et les accommodements entre marchands (8) tendent à détrôner le droit international public, comme l’illustre le rôle croissant des tribunaux arbitraux commerciaux, qui se substituent aux instances judiciaires publiques. (...)

« La réalité dominante de la vie internationale, écrivent deux spécialistes du droit international, est l’opposition entre pouvoir sur les peuples et pouvoir des peuples (9). »

Que faire ? Sur le plan des idées, il reste urgent de s’extirper des visions « civilisationnelles » ou religieuses des conflits, qui dissimulent les intérêts géopolitiques ou économiques (...)

Est-il interdit de réfléchir à des visions du monde différentes, centrées sur le couple paix-développement ?