
Il y a peu, vautré devant un énième naufrage filmique d’une plateforme de streaming, j’ai réalisé que ces plateformes avaient entrainé une multiplication délirante des navets qui tachent à gros budget. Fort bien. Mais quand va-t-on enfin parler de l’empreinte écologique démente de ce cinéma, cet impensé dont on ne parle jamais ? Ne peut-on imaginer des films plus sobres -tels ceux de Carpenter ? (...)
quand je parle de « nanar », c’est donc avec la malice du connaisseur qui sait goûter les joies et les délices qu’il y a à voir une production en train de rater devant nous tout ce qu’il est possible de rater, et qui apprécie cette face cachée du cinéma tout autant que celle constituée de chefs-d’œuvre dont l’histoire gardera mémoire jusqu’à la fin du monde. (...)
Rien que l’affiche vend déjà du rêve.
Cependant, le film en question, Cosmic Sin, n’était pas un nanar, soit un « mauvais film sympathique », souvent fauché, j’y reviendrai, mais bel et bien un navet, un très mauvais film bien chiant ayant goûté la bagatelle de 20 millions de dollars, ce qui est loin d’être ridicule, et sorti directement sur la plateforme Amazon prime. (...)
Et c’est alors, en voyant toutes ces explosions dans le cosmos, ces bastons grotesques, ces agitations sur fond vert, ces décors minables, ces « boum boum », ces « tacacatac » et ces « piou-piou », que j’ai pensée à la part proprement matérielle de ce désastre, les grands studios de tournage, les reproductions de vaisseaux, les trajets aller-retour des acteurs venus cachetonner, les pack de Cristalline des techniciens, et je me suis alors dit : mon dieu, toute cette pollution pour faire pousser un gros navet.
Ce début de prise de conscience, je l’avais déjà eu en regardant avec des amis, hilares quoique consternés, Infinite, d’Antoine Fuqua (oui, comme les dragées), « produit d’appel » de Paramount+ pour sa propre plateforme vidéo, et également mauvais comme c’est pas permis (...)
on dit souvent, face à ce genre de productions : « Bwaf, c’est juste un mauvais film de plus », mais c’est hélas bien plus que ça. Et de savoir que la montée des océans et la disparition des ours polaire sera en partie due à des films comme ça, ces bouses infâmes au scénar’ aussi original que le spectacle de fin d’année à l’école (mais avec des extraterrestre, des zombies, et des stars démonétisées) et que la multiplication et la mise en concurrence des plateformes de streaming rend de plus en plus nombreuses, franchement, ça me déprime à un point que vous n’imaginez pas.
Passons rapidement sur la pollution directement induite par le streaming, une pollution normalement connue de tous, du moins, je l’espère. Pour mémoire, selon une étude récente, une heure de streaming vidéo libère 100 grammes de carbone dans l’atmosphère, soit plus ou moins l’équivalent de 40 minutes de clim’. Et comme le rapportait Slate il y a peu, « les abonnées Netflix ont passé 6 milliards d’heures à visionner le Top 10 de la plateforme, produisant plus de dioxyde de carbone qu’un voyage de la Terre à Saturne. » (...)
Pour ce qui est de la pollution engrangée par la production des films elle-même, c’est étrange, mais on en parle moins. Et il me semblerait que ces stars du grand écran si promptes à verser des millions pour la sauvegarde de l’Amazonie, la larme à l’œil, font preuve d’une étonnante « pudeur de gazelle », comme dirait l’autre, dès qu’il s’agit de détailler un peu l’impact environnemental effarant des films dans lesquels elles jouent, et dont elles assurent la promo à grands coups de tournée mondiale en avion.
Les Echos, l’une des rares sources que j’ai dégottées sur le sujet, nous rapporte cependant que le Centre National du Cinéma, en France, a très récemment pris conscience du problème, et a mis en place un plan nommé « Action » : « dès 2022, des études sur l’impact carbone du secteur et la mise en place d’une méthodologie commune de sa mesure seront, entre autres, lancées. En 2023, la réalisation d’un bilan carbone sera obligatoire pour toute œuvre audiovisuelle et cinématographique financée par le CNC et des objectifs seront définis. » (Le CNC veut verdir le cinéma, Marina Alcaraz, les Echos, 30/06/21)
Car produire des films pollue, c’est indéniable. (...)
Et encore, on parle ici de la France, qui produit assez peu de Blockbusters, et a priori le film de Desplechin à Roubaix n’a pas une grande responsabilité dans le bouzin. (...)
Il faut le dire, quitte à gâcher la fête et à gâter le gout de la soirée pizza : « L’industrie du rêve » est une des premières pollueuses au monde ; et ce de plus en plus, depuis quelques temps, pour produire des direct-to-plateforme, comme on disait avant « direct-to-DVD », dotés (à l’inverse cette fois-ci de nos antiques « direct-to-DVD », au budget souvent minimaliste), malgré leur nullité crasse, de moyens techniques conséquents qui doivent, ou en tous les cas devraient, prêter à interrogation : à quand un audit sur tout ça, avec, je ne sais pas, à la clef, une pastille rouge ou verte en fonction de l’empreinte carbone de chaque film ? Cela permettrait peut-être, grâce à la prise de conscience du public, aux producteurs de se questionner un peu avant de bousiller la planète juste pour retarder la mise en retraite de Bruce Willis.
Comme toujours, les alternatives existent. Une actrice ou acteur peuvent décider, par exemple, de ne pas se plier au jeu de la tournée promo. (...)
un collectif comme « Eco Deco Cine », promeut « une charte de pratiques durables, enrichie de fiches qui recommandent la réutilisation des feuilles de décor amovibles, la location, l’achat d’occasion et la revente des éléments décoratifs, la limitation des quantités de matériaux et des solvants, l’utilisation de peintures ou colles écoresponsables, la réduction et le tri des déchets… » Bref : des décors écoresponsables, tels ceux de Provence Studios, à Martigues, « où ces pratiques vertueuses sont le lot quotidien. (...)
Et surtout, loin des navets tout pétés qui singent à grands coups d’effets spéciaux flingués les blockbuster du moment, loin de ces enflades numériques prétentieuses et creuses, il y a le cinéma indépendant, réellement indépendant, avec sa fougue, ses petits moyens et son inventivité ; il y a l’art de la série B ; en bref : il y a tout ce que nous a apporté le grand, l’immense John Carpenter.
Carpenter, avec ses intrigues et sa réalisation épurés, voire minimalistes, sa volonté d’une mise en scène la plus discrète possible, voire « invisible », selon ses propres termes, Carpenter, avec son élégance, sa fluidité –et son implacable subversion, son rejet absolu du « darwinisme social », de l’égoïsme, de l’inhumanité du capitalisme ; Carpenter qui affirmait : « Vous savez, pour les riches, les pauvres sont invisibles. Ils n’existent pas », et qui s’est employé dans nombre de ses films, avec brio, à mettre en lumière cet « invisible », un terme qui est décidément le maitre-mot de son œuvre, qui traverse nos sociétés, souvent grâce aux outils de l’horreur et/ou du fantastique. (...)
Vive la série B fauchée ! Je rappelle pour conclure que cette purge qu’est 2012, film catastrophe qui traite de la fin du monde tout en y participant, a couté 200 millions de dollars, avec des effets spéciaux en pagaille, et le Fils de l’homme, cette œuvre maitresse de science-fiction dystopique d’Alfonso Cuarón, qui nous présente une humanité dévastée par les pandémies et les guerres et au bord de l’extinction, 76 millions de dollars, avec une extrême quoique intense sobriété de moyens. Et 28 jours plus tard, film de zombie de Danny Boyle, scénarisé par le génial Alex Garland (qui a réalisé plus tard le fabuleux Ex Machina, à voir absolument), avec le talentueux Cillian Murphy, juste 8 millions, et fut tourné uniquement en Angleterre, en caméra DV. Comme quoi.