
Après plus d’un mois et demi de conflit, les livreurs sans papiers de Frichti pourront en partie obtenir la régularisation de leur situation en France, à condition d’occuper un emploi salarié dans les mois à venir.
C’est la fin d’un mois et demi de conflit. Mardi, en fin d’après-midi, les représentants des livreurs sans papiers, la CGT et un membre de la direction de Frichti étaient réunis pour annoncer à Libération qu’ils étaient parvenus à obtenir un engagement auprès de l’Etat : environ la moitié des 200 travailleurs mobilisés vont entamer une procédure qui les mènera à une régularisation. Elle exigera nécessairement que les livreurs trouvent un emploi salarié dans le futur, car une telle procédure impliquant des autoentrepreneurs n’existe pas pour le moment. Les autorités souhaitent par ailleurs éviter de créer un précédent en ce sens. Quant aux autres livreurs, ils seront indemnisés par Frichti qui a abondé un fonds de solidarité. Et tous obtiendront une preuve de travail. La start-up a aussi annoncé, par l’intermédiaire de son cofondateur Quentin Vacher, qu’elle allait embaucher quinze de ces livreurs en tant que salariés dans ses cuisines. (...)
Autour de la table, toutes les parties prenantes du dossier se sont dites plutôt satisfaites de parvenir à une fin de conflit. Même si, du côté des représentants et du syndicat CGT, on aurait souhaité pouvoir inclure plus de livreurs dans la procédure de régularisation. (...)
Réaction en chaîne
Début juin, c’est la publication d’un de nos articles sur les conditions de travail de Karim, livreur pour un sous-traitant de la firme française, qui a entraîné une réaction en chaîne. Immédiatement, la firme a pris la décision de procéder à un contrôle de sa flotte et d’interdire l’accès aux livreurs sans papiers. Ce qui a eu pour effet de mettre sur le carreau quelque 200 travailleurs qui se sont mobilisés spontanément. « Au moment du contrôle, nous n’avions aucun soupçon, je peux vous l’assurer de ma bonne foi. On a été forcément très surpris parce qu’on avait ni prévu d’avoir des conflits, et on a été inquiets de trouver une solution au conflit », assure Quentin Vacher. Des discussions ont donc été engagées avec les représentants des livreurs, la société et les services de l’Etat pour envisager une éventuelle régularisation, revendication principale du groupe. « Depuis quarante jours, on a un dialogue apaisé et constructif, on a beaucoup travaillé », précise-t-on du côté de Frichti. Entre-temps, les municipales et le remaniement du gouvernement ont peut-être pu retarder la prise de décision, mais elle sera bien effective dans les semaines à venir. (...)
Reste pour les livreurs sans papiers concernés à trouver un emploi salarié. Du côté de la CGT, on envisage de fonder une coopérative pour salarier certains d’entre eux, comme c’est déjà le cas à Bordeaux. (...)
« C’est une première pour ce système d’autoentrepreneur, c’est une première pour nous à la CGT », se réjouit Didier Del Rey, de l’US CGT commerce et service de Paris, qui s’est dit fier du travail accompli. (...)
Malgré cet accord inédit pour les livreurs de plateformes, certaines voix s’élèvent aussi pour le dénoncer. Selon Jérôme Pimot, cofondateur du Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap), il laisse de côté toute une quarantaine des livreurs qui ont été, selon lui, exclus injustement de la procédure avant la signature de l’accord. « Ce sont des personnes qui n’ont pas fait grève ou sont des opportunistes qui ont souhaité profiter de la mobilisation », répond-on du côté des représentants et de la CGT. Karim, le premier livreur dont nous avions évoqué la situation, fait remarquer qu’il n’a toujours pas obtenu d’indemnisation et qu’il a perdu son travail. Dans nos colonnes, l’entreprise avait pourtant assuré qu’elle ferait le nécessaire pour l’aider.
Avec l’aide d’un avocat, il envisage désormais de porter plainte contre Frichti. (...)
Depuis, Karim a quitté la France pour l’Espagne. Là-bas, il espère mener une vie plus paisible et y trouver un travail qui lui permettra d’obtenir la régularisation, lui aussi.