
Plus de 40 000 personnes ont été enfermées en centre de rétention administrative (CRA) en 2022, selon un rapport inter-associatif paru ce mercredi. Nombre d’entre elles avaient une "menace à l’ordre public" dans leur dossier. Or, ce motif est aussi flou que "prépondérant" dans les placements en rétention, selon les associations.
Ces chiffres - établis par Forum réfugiés, France terre d’asile, le Groupe SOS Solidarités-Assfam, La Cimade et Solidarité Mayotte - confirment la forte reprise des placements en rétention, suite à la réouverture progressive des frontières depuis la crise sanitaire.
Ces associations intervenant en rétention ont publié mercredi 26 avril leur dernier rapport annuel. Il révèle une tendance lourde : le placement en CRA au motif de menace à l’ordre public. "De plus en plus, la rétention est conçue par les autorités comme un levier punitif, alors que l’objet de la rétention ne devrait pas être celui-ci", commente Dalia Frantz, responsable nationale de La Cimade, jointe par InfoMigrants.
En effet, les sans-papiers ne devraient pas être "détenus" au même titre que les prisonniers de droit commun, mais "retenus" puisqu’ils n’ont commis aucun délit.
Menaces à l’ordre public, un motif flou (...)
Qu’est-ce qu’une "menace grave à l’ordre public" ? Il arrive que des personnes soient considérées comme représentant une menace à l’ordre public sur la base d’un signalement, sans condamnation pénale. Il suffit aussi que la personne soit connue des services de police pour une garde à vue ou une mise en examen, même s’il n’y a pas eu de poursuites, ou même si elle a été relaxée. (...)
Certains cas frôlent l’absurde. Des préfectures ont considéré que la menace était caractérisée "pour des motifs manifestement dérisoires : regarder ’suspicieusement’ autour de soi, cracher sur le trottoir, ralentir la circulation des voitures...", listent les associations intervenant en CRA.
Davantage d’aller-retours entre prisons et CRA
Depuis plusieurs mois, le ministre de l’Intérieur multiplie les déclarations faisant l’amalgame entre "étrangers" et "délinquants". (...)
Ces aller-retours entre prison et CRA, que les associations nomment "continuum de l’enfermement", affectent la santé mentale des personnes. Cela complique aussi le travail d’accompagnement des associations, prises dans un contexte de plus en plus tendu. Début février, la Cimade s’est retirée du plus grand CRA de France, le Mesnil-Amelot, en partie à cause de ces tensions.
Des enfermements et renvois "en toute illégalité"
Enfin, en se focalisant sur la menace à l’ordre public, "des décisions de placement en rétention sont prises sans discernement, sans examen de la situation individuelle", argumente Dalia Frantz. On retrouve ainsi dans les CRA "des personnes qui ne comprennent pas pourquoi elles sont là", témoigne-t-elle. De quoi nourrir un sentiment d’injustice, et exacerber le stress quotidien dans les centres. (...)
"Des parents d’enfants français, des personnes ayant grandi en France, des personnes gravement malades, des personnes protégées au titre de l’asile ont été enfermées sans examen approfondi de leur situation", précisent les associations dans leur rapport. Certains retenus ont aussi fait l’objet de renvois, "en dépit de toute considération pour leur vie familiale ou leur vulnérabilité, voire en complète illégalité". (...)
2 905 enfants enfermés à Mayotte en 2022 (...) C’est 30 fois plus que dans l’Hexagone. (...)
Le nouveau projet de loi immigration, initialement prévu pour examen au printemps 2023 mais dont le calendrier parlementaire a été mis en suspens, prévoyait d’interdire la rétention des enfants de moins de 16 ans. Sauf qu’il excluait les territoires d’outre-mer de son champ d’application.
Trois retenus du CRA de Bordeaux condamnés à de la prison : un révélateur du climat "anxiogène"
(...) La situation est révélatrice des tensions quotidiennes dans ce CRA, le plus petit de France. Elle s’imbrique aussi dans le schéma, de plus en plus prégnant, des aller-retours entre prison et centre de rétention pour les personnes étrangères.
Trois hommes jusqu’ici retenus au centre de rétention administrative (CRA) de Bordeaux ont été condamnés, mercredi 20 avril, à de la prison ferme. À l’origine, une "broutille : un distributeur de boissons et de confiseries vides", relate le média local Sud Ouest. Le ton est monté, et le journal évoque un "début d’émeute".
"Ils ont été condamnés pour outrage et rébellion", précise l’avocate de l’un des trois hommes, Me Delphine Meaude, "et pas pour des violences". Mais les peines sont lourdes : l’un des hommes a pris un an ferme, le deuxième six mois ferme, et son client, neuf mois ferme.
Ce dernier fera appel, nous assure l’avocate. Elle explique aussi qu’il a déposé plainte, au cours de sa garde à vue, pour des violences commises par des policiers du CRA. "Il a le pouce cassé. Et il avait l’oeil explosé, tout rouge", décrit-elle. (...)