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La mécanique raciste
Article mis en ligne le 11 avril 2017
dernière modification le 8 avril 2017

Tout le monde ou presque se dit antiraciste. Pourtant, les discriminations se perpétuent dans des proportions massives, et en toute impunité. La mécanique raciste met à nu, chiffres à l’appui, cette remarquable contradiction. À rebours des discours complaisants faisant du racisme une simple pathologie individuelle ou un réflexe de « peur de l’autre » naturel et compréhensible, Pierre Tevanian souligne son caractère systémique et son enracinement dans notre culture. Soucieux de « connaître pour mieux combattre », il prend le racisme au sérieux et analyse ses ressorts logiques, esthétiques et éthiques, comme il est d’usage de le faire pour tout système philosophique – à ceci près qu’il s’agit ici de déconstruire une manière perverse de raisonner, de percevoir l’autre et de se concevoir soi-même. De ce livre qui paraît aux Editions La Découverte, voici l’introduction.

L’engagement dans différentes luttes politiques [1] m’a, ces dernières années, amené à rencontrer et combattre le racisme sous diverses formes et à l’envisager sous des angles divers : comme concept, comme percept et comme affect [2].

Envisagé sous l’angle de la logique, le racisme se caractérise par plusieurs opérations, dont la combinaison produit une conception du monde, une philosophie, une idéologie qui, à défaut d’être pertinente et estimable, possède une cohérence relative :

– la différenciation, c’est-à-dire la polarisation de la conscience sur une différence, fondée sur un critère choisi arbitrairement (la race, la culture, la religion, la couleur de peau…) ;

– la péjoration de cette différence (sa transformation en stigmate, c’est-à-dire en marqueur d’infamie ou d’infériorité) ;

– la réduction de l’individu à son stigmate (quiconque est – entre autres choses – Noir, Arabe, musulman ou juif, devient « un Noir », « un Arabe », « un musulman », « un juif », et chacun de ses faits et gestes trouve son explication dans cette identité unique) ;

– la naturalisation, l’essentialisation, l’amalgame, autrement dit l’écrasement de toutes les différences d’époque et de lieu, de classe sociale ou de personnalité qui peuvent exister entre porteurs d’un même stigmate (« les Noirs », « les Arabes », « les musulmans » ou « les juifs » sont « tous les mêmes ») ;

– la légitimation d’une inégalité de traitement par la moindre dignité des racisés (ils « méritent » d’être exclus ou violentés en tant qu’inaptes ou dangereux).

Pour résumer, le racisme est, sur le plan logique et idéologique, une conception particulière de l’égalité et la différence, une manière d’articuler ensemble ces deux concepts sur un mode particulier : celui de l’opposition radicale. Pour le dire plus simplement encore, le racisme est sur le plan conceptuel l’incapacité de penser ensemble l’égalité et la différence. C’est à cette incapacité – et à sa déconstruction – qu’est consacré le premier chapitre de ce livre. (...)

le racisme n’est pas seulement une manière de penser l’altérité et une manière de sentir l’autre : c’est aussi une manière de se sentir et de se penser. En même temps qu’un rapport au monde et aux autres, c’est un certain rapport à soi. (...)