Une machine infernale, aux yeux d’un enfant, s’attaque tel un dragon aux mauvaises herbes d’un boulodrome. La technique anéantit la nature dans ce conte poétique offert par un lecteur. Mais sous la cendre, la vie renaît et suit son cours.
« Sacrée bécane ! » Je lève la tête. Deux curieux se tiennent en face de moi, intrigués par mon engin. Je ne peux qu’acquiescer : sacrée bécane. Elle s’appelle Herbiogaz City, elle est rouge Ferrari, elle a un guidon d’Harley, un allumeur piézo, et une bouteille de gaz qui sustente une rampe de cinq brûleurs et un lance-flammes manuel. C’est un « désherbeur » thermique, digne héritier de la grande tradition des techniques de lutte contre les mauvaises herbes, ou adventices, c’est selon. (...)
À notre droite, le vert chlorophyllien du vivant, à gauche, le noir charbonnier du néant. La vie et la mort. Nous nous tenons sur une frontière étrange, emplie d’une amertume abstraite, d’un non-sens vertigineux. (...)
« C’est efficace ? » demande soudain l’homme, dans un moment de pragmatisme inattendu. Non… Je ne crois pas. Enfin, à court terme, oui… La plante crame et meurt, bien sûr, et c’est bien le but, mais… Efficace à court terme, voilà. On est très compétent dans le domaine de l’efficacité à court terme, c’est une certitude. Binette, Round up, thermique. Charbon, pétrole, solaire. À chaque problème, sa solution et quand la solution est un problème, la science trouvera une solution. Le défunt plantain lancéolé, lui, s’en fout. Les problèmes et les solutions sont une affaire d’homme, la Nature suit son cours, sa progéniture vivra, comme ses aïeux ont vécu. Et il semblerait que ma bécane lui file un petit coup de main pour enchanter les lendemains de sa famille plantain. (...)