
Les rapports entre hommes et femmes ne relèvent pas simplement de relations interpersonnelles, mais d’un système de rapports sociaux imbriqués (classe, sexe, « race », génération…) dont les configurations sont historiques, diversifiées et mouvantes. Les apports sociaux de sexe (système de genre) sont par ailleurs socialement codifiés. Ainsi dans nombre de sociétés, le sexe de naissance constitue une donnée de classification et de hiérarchisation décisive, le passage de l’enfance à la puberté est souvent accompagné de nouvelles contraintes déclinées suivant un double standard.
Des formes de violence directe ou des actes symboliques accompagnent la hiérarchisation sexuée, sous des formes variables. Dans nulle société, l’égalité, même lorsqu’elle est revendiquée, n’est constitutive des rapports sociaux.
Dans certains espaces sociaux, certaines « aires culturelles », le marquage des sexes se fait par des atteintes à l’intégrité corporelle (il ne faut pas minimiser les dimensions psychiques), en particulier pour des enfants de sexe féminin. Le sexe de naissance ne suffit visiblement pas à faire des femmes et des hommes, il faut des interventions mutilatoires, au moins pour les unes…
Le livre est consacré aux mutilations génitales féminines. Je reviendrai, en fin de note, sur des mutilations que subissent souvent les enfants intersexué·es, sur les re-façonnage des organes génitaux d’adolescentes ou de jeunes femmes pour se conformer aux normes pornographiques, sur certaines pratiques après épisiotomie, sur la circoncision masculine.
Dans sa préface, Djemila Benhabib parle d’excision, de blessure innommable et inguérissable, de tradition, « Couper, enlever, gratter, étirer, « nettoyer », saturer, l’unique organe du corps féminin spécifiquement consacré au plaisir, mais quelle idée ! », d’une affaire d’hommes et d’un sytème de domination – car il s’agit bien du plaisir et de la jouissance des hommes -, de mentalités à changer, de « surtout ne pas se taire », de la hausse du nombre de mutilations pour des femmes vivant en France, de l’excision « médicalisée », du courant culturaliste et relativiste, « On doit comprendre et expliquer comment se reproduit la structure patriarcale et comment la briser », d’exigence d’universalisme des droits et de solidarité à l’échelle internationale… (...)
« ni le respect dû à des pratiques ancestrales, ni les résistances à l’hégémonie culturelle occidentale ne peuvent justifier ces coutumes », des mutilations comme dévastation physique et psychique…
Les autrices abordent les violences faites aux femmes, l’exigence de docilité ou de soumission, les petits pieds des Chinoises, les « femmes à plateau », les « femme girafe » et les mutilations génitales (qui ne sont pas de simples altérations des organes génitaux féminin à des buts non thérapeutiques), leur caractère « culturel » et non religieux. (...)
Les analyses sont accompagnées par des témoignages. (...)
Les autrices discutent de la certitude masculine de véritablement représenter… l’humanité, de l’absence de comparaison possible avec la circoncision (masculine), de la non-prescription par les religions monothéistes, du marquage social et sexuel, des rapports entre les excisions et la virginité ou le désir sexuel, des significations culturelles des pratiques mutilatrices…
Elles abordent, entre autres, les retentissements sur le corps et la psyché, les médecins « occidentaux » qui préconisaient et pratiquaient la clitoridectomie comme « remède » à la masturbation, le silence au nom du soi-disant respect des coutumes, l’habeas corpus au féminin… (...)
Il ne s’agit pas de « hiérarchiser » les cultures mais de comprendre pourquoi les violences faites aux femmes peuvent violer « le droit à l’intégrité corporelle », nuire à la santé et porter atteinte « à la dignité humaine », sans oublier le risque d’entrainer la mort. Il est d’ailleurs remarquable que les droits des femmes (ou des personnes homosexuelles) sont déniés au nom de la coutume, mais pas les principaux autres usages des sociétés capitalistes) ; chacun aménageant ou pliant la coutume à ses intérêts perçus. Les formes que prennent les contraintes sociales pour dénigrer les femmes sont multiples (railleries, mépris, humiliations…). Elles visent à obliger ces dernières à se soumettre – voir à valoriser – des coutumes qui leur fond profondément violence. Le clitoris et la puissance de jouissance sont considérés par de nombreux hommes comme une entrave à leurs propres plaisirs. (...)
En conclusion, « Ensemble, brisons le silence », Luce Cloutier et Andrée Yanacopoulo soulignent que si « où que ce soit sur terre, on mutilait bon an mal an trois millions de mâles, il y a longtemps que le respect des cultures incriminées en aurait pris un bon coup »… (...)