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La haine des causes
Le blog de Joseph Confavreux
Article mis en ligne le 13 octobre 2015
dernière modification le 5 octobre 2015

Depuis le 24 août 2015, les sciences politiques ont disparu d’Ouzbékistan. Le despote Islam Karimov a décidé de bannir tous les livres traitant de ce sujet, versés dans un « fonds spécial » inaccessible, et de remplacer ce cursus universitaire par des cours de « théorie et pratique de la construction d’une société démocratique en Ouzbékistan ». Le ministre japonais de l’Éducation, Hakubun Shimomura, s’est, lui, contenté, d’envoyer une lettre aux présidents des quatre-vingt-six universités du pays pour leur demander de se débarrasser des départements de sciences sociales et d’humanités « ou de les convertir afin qu’ils correspondent mieux aux besoins de la société ».

Sans parvenir à de telles extrémités, la France et l’Europe, du moins leurs classes dirigeantes, semblent habitées par une semblable peur des savoirs qui dérangent, expliquent et éclairent. Au temps long de la réflexion, elles préfèrent l’immédiateté de la communication. À la recherche des causes, par la perspective historique ou par l’investigation sociologique, elles opposent l’urgence de l’action. À la complexité d’une pensée en mouvement, elles préfèrent la simplicité de mots d’ordre qui figent, assignent et immobilisent : restaurer la République, faire la guerre au terrorisme, réduire les déficits publics – quoi qu’il en coûte aux peuples et aux individus.

Qu’il s’agisse de la crise grecque ou des menaces terroristes, des enjeux sécuritaires ou des questions économiques, la politique contemporaine dans sa version dominante a choisi d’ignorer ce qui fait les sociétés : leur histoire, leurs structures, leurs contradictions sociales et, par-dessus tout, leur foncière diversité ethnique, culturelle et religieuse. Les sciences humaines et sociales sont ainsi bannies, discréditées ou vilipendées, au nom du fait qu’elles installeraient une « culture de l’excuse ».

Tout effort d’explication historique ou d’analyse sociologique d’un phénomène social est disqualifié comme tentative de justification. Aussi absurde que grossier, ce soupçon est une arme idéologique au service de l’ordre établi, justifiant une politique fière de ne plus penser à long terme. Évacuées, les causes sociales de la délinquance, les origines historiques de l’État islamique et de la décomposition du Moyen-Orient, les fondations idéologiques de la crise des dettes publiques et de la zone euro. Circulez, il n’y a plus rien à penser ! (...)